L’idée centrale de cette contribution volontariste est de montrer que le financement participatif de proximité (FPP) peut être un outil intéressant en temps de crise et de sortie de crise pour financer des projets hors du cadre bancaire classique. Ce type de financement, selon Renault et Boutigny, « apparaît comme le recours à une ressource de la foule : son argent ». Mais qu’est-ce que la foule ? Quel serait le bon angle d’attaque pour l’appréhender ?
Concrètement, comment les 20 millions de Burkinabè pourraient-ils se mobiliser autour d’une plate-forme pour financer des projets stratégiques sans forcement passer par les banques ou d’autres partenaires classiques ? Pour répondre à cette question dans le cadre de notre recherche doctorale, nous avons sillonné le terrain et interrogé des responsables d’institutions publiques et des leaders de communautés religieuses, de communautés des collectivités territoriales et de communautés villageoises. Il ressort que des éléments contextuels sont à prendre en compte et peuvent varier d’un milieu à un autre. Certains des responsables interrogés sont hostiles à une telle idée, parce qu’ils estiment que leurs intérêts en seraient menacés, mais d’autres s’y montrent plus disposés. L’angle le plus approprié pour aborder cet outil et ces questions semble être celui du « bassin de vie ».
Ce (petit) territoire, en Afrique comme ailleurs dans le monde, serait celui sur lequel les habitants auraient collectivement accès aux équipements et services les plus usuels.
Quelques constats liés à la mobilisation des ressources financières locales au Burkina Faso
Le cas du « pays des hommes intègres » est emblématique. L’État, les banques, les ONG et les partenaires internationaux restent les principaux acteurs financiers du développement au Burkina Faso. La population dans son ensemble occupe une place moins privilégiée parmi les acteurs financiers de son propre développement – et ce, malgré les taxes que certains paient et d’autres plus rarement, voire pas du tout.
Le principal blocage est que le dispositif qui consiste à prélever les taxes rencontre des limites. Comme le clamait l’un de nos interlocuteurs sur le terrain, « je paie mes taxes et c’est tout, que cela suffise ou pas pour faire fonctionner l’État, je m’en moque, c’est à l’État de trouver ailleurs les moyens pour le développement du Burkina Faso ». La réalité est que les taxes ne suffisent plus et que le peuple attend beaucoup trop de l’État pour financer les projets stratégiques de développement.
De plus, le faible niveau d’éducation et la compréhension limitée de concepts comme l’État-providence ou le partenariat public-privé inhibent la participation volontaire des citoyens au financement des projets stratégiques. Sur le terrain, la question est délicate et s’apparente souvent à un jeu de billard à trois bandes : les communautés rurales attendent que les mairies et les ONG locales fassent quelque chose ; les ONG locales et les mairies ont le regard tourné vers l’État ; quant à l’État et aux ONG internationales présentes sur place, ils se tournent vers les partenaires de l’extérieur.
Dans le même temps, en confiant aux entreprises privées le financement de certaines infrastructures publiques, l’État n’encourage pas le peuple à participer au financement de ces projets stratégiques comme dans le cas des projets du Plan national de développement économique et social (PNDES). Ces pratiques ont pour conséquence, sur le terrain, d’asseoir une dépendance attentiste vis-à-vis de l’aide extérieure.
Des aspects communautaires à dimensions religieuses, villageoises et politiques
Sur le rôle des communautés religieuses, il est notable qu’elles aient su mettre en place des ONG qui ont longtemps bénéficié de financements extérieurs. Nous pouvons par exemple citer deux structures telles que l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES) et l’Office de Developpement des Églises Evangeliques (ODE). Ces deux ONG religieuses ont, certes, participé au développement socio-économique du Burkina Faso. Mais elles ne sont pas parvenues à expliquer aux communautés bénéficiaires et à leurs fidèles comment les Églises du pays de l’hémisphère Nord récoltaient de l’argent pour financer les activités. Cela n’a pas préparé la relève et les fidèles de ces communautés se sont logiquement enfermés dans des logiques non participatives ou faiblement participatives.
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À côté de cette dépendance à l’égard de l’aide extérieure, nos travaux sur le terrain ont souligné un réel individualisme au sein des communautés religieuses, ce qui bloque la mobilisation du plus grand nombre des fidèles pour le financement des projets stratégiques. À titre d’illustration, les 14 dénominations membres de la Fédération des églises et missions évangéliques n’ont pas encore mis en œuvre de financement commun de projets stratégiques. Une autre double illustration de cette étanchéité peut être celle de l’Église catholique, qui compte 15 diocèses, et celle de la Fédération des Associations Islamiques, qui compte six associations principales.
Sur le plan politique, les acteurs sont souvent opposés à la mise en place de plates-formes robustes de financement participatif. L’un de nos interlocuteurs a clairement avancé que « si les communautés découvrent le potentiel de ce mode de financement, elles seront difficilement manipulables pendant les élections » puisqu’elles pourront se permettre de ne plus dépendre des subsides et se montreront plus exigeantes dans le choix des candidats ».
En outre, un potentiel politique est mobilisable en mettant les villages en réseau et en incitant les communautés villageoises 1) à mobiliser leur grand nombre pour le financement des petits projets stratégiques (eau, énergie, etc.) à l’échelle communale et 2) à déconstruire les frontières fictives (et décourageantes) entre les villages d’une même commune rurale pour les encourager à s’impliquer collectivement dans le développement.
Il existe également des conflits latents entre villages, souvent liés à la gestion de la chefferie et/ou à l’appartenance politique des leaders. Ce qui ne facilite pas la création de communautés moins atomisées et donc plus puissantes. Plus les communautés sont atomisées, moins elles peuvent se mobiliser autour d’une action collective (Lapeyronnie,2018).
Enfin, les villages ne sont pas tous favorables à l’expérimentation du financement participatif en leur sein, car ils sont freinés par plusieurs facteurs, comme la qualité du bassin de vie (liens familiaux éloignés/rapprochés, communautés atomisées et fragmentées par les appartenances religieuses, conflits de chefferie, divisions politiques), ainsi que les difficultés opérationnelles du montage des alliances et de la perception des mutualisations, mais cela est désormais bien connu et correctement contextualisé.
Cas de projets pratiques de financement participatif au Burkina Faso
Le traitement de la crise sanitaire au Burkina Faso fut original et collectif. Notons les contributions de la loterie nationale burkinabé, des grands patrons, du président Roch Kaboré, des ministres burkinabè, de quelques petites entreprises et la mise en place de la plate-forme « Coronathon ».
Ce dernier exemple montre que des initiatives comparables sur le plan opérationnel pourraient être mobilisées pour financer les projets en faveur des jeunes, des entrepreneurs et/ou des femmes. Elles pourraient aussi aider à la prise en charge des plus de 780 000 femmes et hommes déplacés internes qui, depuis le début de la crise sécuritaire en 2015 dans le nord, restent peu ou prou soutenus et accompagnés par les acteurs humanitaires mais qui sont fragilisés par les risques de propagation du coronavirus en leur sein.
Nos travaux sur le terrain montrent que le « Coronathon » aurait pu obtenir des résultats plus importants si cette plate-forme avait bénéficié de l’accompagnement des femmes entrepreneurs et/ou des communautés religieuses. Les trois communautés religieuses au Burkina Faso auraient pu aisément aider à diffuser le message. Mais cette expérimentation concrète montre qu’il est possible de transposer ce type de financement en dehors du contexte de crise sanitaire.
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Les contributions directes des membres du gouvernement et de la présidence du Burkina Faso sont intéressantes mais elles ne sont pas isolées sur le continent. De nombreux pays voisins ont fait de même, comme le Ghana, le Mali, le Sénégal ou encore le Maroc.
Il aurait été utile et opportun à ce propos d’institutionnaliser ce type de collecte de fonds via une plate-forme robuste et ouverte pour soutenir des projets d’aide et de développement, parmi lesquels des projets d’aide aux déplacés internes.
Le financement participatif, une solution alternative pour l’Afrique de l’Ouest
Nous insistons à présent sur les stratégies adoptées par certains pays africains comme le Sénégal pour dégager 159 milliards franc CFA du budget 2020 en vue de contribuer à la constitution d’une somme de 1 000 milliards pour lutter contre la crise du Covid-19. Toutefois, face au déficit budgétaire issu de la lutte contre la pandémie, le Sénégal a – en plus – négocié un emprunt de 221 millions de dollars auprès du FMI. Les collectes participatives et les emprunts institutionnels sont donc complémentaires.
Insistons à présent sur le cas de la Côte d’Ivoire. Ce grand pays prévoit plus de 1 700 milliards de francs CFA.
Nous remarquons que paradoxalement ces deux grands pays n’ont pas ou peu mobilisé les pistes concrètes et ancrées liées au financement participatif de proximité. C’est regrettable, cela aurait permis aux populations volontaires de participer à l’effort commun et d’en tirer une certaine forme de fierté.
Insistons enfin, sur les cas de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, qui, avec une population estimée à 86 150 952 habitants en 2020, pourraient tester massivement cette approche participative. Rêvons que si 50 % de ces habitants acceptent et que chacun contribue à hauteur de 10 000 francs CFA, ce réseau social mobiliserait 430 754 760 000 francs CFA. Constatons qu’avec ce montant, il serait possible de réaliser 27 barrages hydro-agricoles comme celui du Soum au Burkina Faso.
Un peu de motivation et beaucoup d’espoir
Ce montant élevé pourrait aussi servir concrètement à financer au total 43 075 jeunes porteurs de projets à hauteur de 10 millions par projet. Ce qui pourrait réduire à la marge les écarts de développement constatés entre les différentes zones de ces pays. Ce qui pourrait donc contribuer à réduire les sources de frustration qui – nous le savons désormais – peuvent conduire à des soulèvements et à la prédisposition des jeunes face à tout type de mouvements.
En opérationnisant le FPP, à l’image de cagnottes ou tontines numériques, ces pays réputés pauvres et avec des difficultés à financer les initiatives pourraient montrer à la fois beaucoup de motivation pour changer la donne et d’espoir pour « occuper » leur jeunesse. Elle ne serait ainsi pas laissée seule face au désœuvrement et aux tentations extrêmes. Le FPP grâce à son caractère simple et inclusif se trouve être une piste et un outil de financement qui cadre avec la vision du président ghanéen pour l’Afrique. Nous plaidons ici pour que cet outil et ses technologies supports soient beaucoup plus souvent expérimentés au sein des bassins de vie et mieux déployés sur le terrain.
Par
Seydou Ramdé
Doctorant en Sciences de Gestion, Université Aube Nouvelle
Marc Bidan
Professeur des Universités – Management des systèmes d’information – Polytech Nantes, Auteurs fondateurs The Conversation France
Publié d’abord sur theconversation