Au Sénégal, les deux séries qui ont fait le plus de buzz au cours de cette année 2020 restent aussi les plus controversées. Vues par des millions d’internautes sur YouTube, « Infidèles » et « Maitresse d’un homme marié », sont accusées d’être des vecteurs de promotion de la p3rv3sité dans la jeunesse.
Ces dernières années ont vu l’explosion de séries télévisées sénégalaises épousant au possible les techniques, la grammaire et le langage cinématographiques modernes. L’évolution, qui répond à un certain cran artistique, ne semble pas du goût de certains. Ces derniers constituent une partie des populations et, principalement, des organisations censeures avec l’Ong Jamra à la tête. Ils provoquent et alimentent une polémique qui veut dessiner ces productions audiovisuelles comme des canaux de perversion qui méprise le principe de l’ellipse d’ordre social. Un argument que trouvent léger certains téléspectateurs et des acteurs culturels.
Telle une colonie ronflante, des associations moralisatrices ont levé la voix pour dénoncer certaines séries télévisées. Leurs cibles sont principalement les séries «Maîtresse d’un homme marié» et, pour la dernière en date, «Infidèles». La levée est principalement menée par l’Ong Jamra, à travers la voix de son vice-président Mame Makhtar Guèye dont le visage s’est finalement jumelé à cet assaut moraliste. Il accuse les séries incriminées de mener la jeunesse vers les venelles de la perversité et de menacer le legs vertueux des pieux devanciers. Durant la première saison de «Maîtresse d’un homme marié», Mame Makhtar Guèye avait dirigé l’offensive qui avait conduit Halima Gadji, actrice principale de la série, et l’équipe réalisatrice au prétoire du Cnra. L’actrice, Marème Dial dans la fiction, était accusée d’être «dévergondée et grossière». Au terme des conciliabules, l’Ong Jamra avait mis de l’eau dans son bissap, pardonné à l’irrévérencieuse et même dit être disponible pour aider dans la rédaction d’un scénario plus convenable au bon cadre social. Mais ce n’était qu’un court répit, avant que les vieilles habitudes de la création artistique cousue de liberté et d’audace n’émergent encore à la surface. Parmi celles-ci «Infidèles», série produite par Even Prod mais qui n’a pas bénéficié de délai.
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Après la diffusion du premier épisode, Mame Makhtar Guèye dégaine à boulets rouges et offre par-là une bonne promotion au produit audiovisuel. La polémique glisse sur les réseaux sociaux et la rue et laisse distinguer deux camps. Ceux qui s’alignent à l’indignation de Mame Makhtar Guèye et ceux qui n’y voient rien de scandaleux et s’en délectent. Ces derniers se montrent bien nombreux, car la série, après la diffusion d’une dizaine d’épisodes sur YouTube, capitalise une moyenne de plus d’un million et demie de vues. De ces sympathisants qui ont fini par se fidéliser à «Infidèles», une bonne brochette s’est ruée sur l’Ong Jamra et son «zèle», souvent avec des arguments peu mesurés.
Ibou Guèye a également répondu aux critiques et attaques de Mame Makhtar Guèye et ses affidés. Le directeur de la maison de production Even Prod, à travers une vidéo d’une trentaine de minutes en wolof diffusée le 29 juillet, a peu caché son ahurissement. Dans un ton lucide mais ferme, le réalisateur et producteur de la série «Infidèles» affirme que ce qui l’a le plus fait mal est qu’on les ait traités de mécréants. «Quand vous touchez à la foi d’un individu, vous agressez ce qui lui est le plus cher. Ces personnalités dites religieuses ont porté de graves accusations en affirmant que nous sommes supportés par des lobbies maçonniques, que nous encourageons l’adultère, l’homosexualité, etc.», déclare Ibou Guèye, prouvant, par moments, sa bonne culture religieuse avec des références divines et prophétiques.
Dans son communiqué, l’Ong Jamra et les 48 autres plaignants indiquent qu’«Infidèles» est «une série perverse» qui «banalise ce qu’il y a de pire dans la vie normale d’un adulte (…) Le contraire de la base même de notre système social, culturel et identitaire». Une perception qui étonne Ibou Guèye dans le sens où c’est fondamentalement ce qu’il combat. «Nous faisons de la pédagogie. C’est le nerf de tous les projets de «Even Prod». Ils sont tous pour créer un bouleversement qui va vers la perfection. Nous n’avons pas dérogé concernant «Infidèles», explique le réalisateur et producteur. «Nous avons ce scénario car nous pensons qu’il faut briser les tabous et heurter les sensibilités pour créer le déclic. C’est la méthode indiquée pour présenter l’évidence au public et les amener à distinguer le mal», poursuit-il. Des arguments qui ne convainquent vraisemblablement pas Mame Makhtar Guèye et sa ligue, qui, une semaine après, continuent de croire que la série télévisée révèle de «minables mimétismes de sous cultures occidentales qui inculquent subtilement à nos enfants des comportements déviants». Le communiqué vise en plus les séries «Reewolen sakh», même si toute la virulence a été servie à «Infidèles».
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Malgré cette position et l’arbitrage du Cnra, Ibou Guèye «défie quiconque de sortir des propos obscènes de la série». Selon lui, il a avec son équipe dépouillé les dialogues du mieux possible et fortement privilégié le second degré. Aucun secret d’alcôves n’y serait trahi. Il précise bien qu’aucune séquence n’est anodine, quoiqu’elle puisse paraître sous certains tableaux, et contient au bout de chacune d’elle une pédagogie. En visionnant bien les scènes incriminées, toutes débouchent sur une leçon de morale ou une fin peu glorieuse pour marquer le malheur et le sacrilège de l’acte. Il y a également le personnage de Ousmane Ridial, un homme vertueux qui débite à longueur de scènes des recommandations religieuses et éthiques, et déjouent à chaque fois les entourloupettes des nymphes. En streaming, où on en est au 18ème épisode, les amateurs de pervers et de chair disent leur déception de ne plus voir la face vicieuse de la médaille. Ce qui donne raison à Ibou Guèye et certains défenseurs qui estiment que Jamra va vite en besogne. Selon le réalisateur, il fallait attendre cette étape d’éducation car c’est le propos de la série et tout ce qu’il faut retenir au final.
Avec Le Soleil