Si la cause précise des deux déflagrations qui ont dévasté le port et une grande partie de la capitale libanaise mardi 4 août à 18h demeure inconnue, il est établi que c’est un entrepôt stockant 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui a servi d’explosif. Un produit qui a causé bien d’autres catastrophes par le passé.
Selon le Premier ministre libanais Hassan Diab, environ 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées, depuis plusieurs années, dans l’entrepôt du port de Beyrouth qui a explosé. Les dégâts matériels sont sans précédent dans la capitale libanaise, déclarée « ville sinistrée » par le Conseil supérieur de défense. L’onde de choc a été ressentie jusqu’à Chypre, l’État insulaire situé à 200 km au large des côtes beyrouthines.
« Il est inadmissible qu’une cargaison de nitrate d’ammonium, estimée à 2 750 tonnes, soit présente depuis six ans dans un entrepôt, sans mesures de précaution. C’est inacceptable et nous ne pouvons pas nous taire sur cette question », a déclaré le Premier ministre durant la réunion du Conseil supérieur de défense, selon des propos rapportés par un porte-parole en conférence de presse.
Toxicité
Le nitrate d’ammonium, à l’origine des explosions, est un sel blanc et inodore utilisé comme base de fertilisant agricole sous forme de granulés : les ammonitrates, engrais pour de nombreuses cultures que les agriculteurs achètent en gros sacs ou en vrac.
Les ammonitrates ne sont pas des produits combustibles : ce sont des comburants, c’est-à-dire qu’ils permettent la combustion d’une autre substance déjà en feu. « C’est très difficile de le brûler », explique à l’AFP Jimmie Oxley, professeure de chimie à l’université du Rhode Island, qui a elle-même travaillé sur la combustion du nitrate d’ammonium. « Ce n’est pas facile de le faire détoner. » La détonation n’est possible qu’avec une contamination par une substance incompatible ou une source intense de chaleur. Le stockage doit donc suivre des règles pour isoler le nitrate d’ammonium de liquides inflammables (essence, huiles…), de liquides corrosifs, de solides inflammables ou encore de substances qui dégagent une chaleur importante, parmi d’autres interdits, selon une fiche technique du ministère français de l’Agriculture.
« Le nitrate d’ammonium est toxique pour l’homme. Par inhalation de ses poussières, il irrite les voies respiratoires ; par exposition prolongée, il provoque des faiblesses, des céphalées et par contact, des irritations de la peau », explique la Société chimique de France.
Par ailleurs, les nombreuses vidéos des explosions relayées sur les réseaux sociaux montrent un panache de fumée revêtant une couleur orangée : il s’agit d’émanations de dioxyde d’azote, produit par la décomposition du nitrate. Ce gaz est un polluant, toxique, âcre et suffoquant, et pourtant très répandu : on le retrouve par exemple dans les zones à forte densité automobile, aux heures de pointe dans les villes. Lorsqu’il est présent en quantité élevée (ex: pic de pollution), il peut notamment affecter les voies respiratoires. « À des concentrations dépassant 200 μg/m3, sur de courtes durées, c’est un gaz toxique entraînant une inflammation importante des voies respiratoires », indique l’OMS. En sa présence, il est donc préférable d’éviter tout exercice physique. Les personnes présentant des difficultés respiratoires doivent plus spécialement s’en prémunir.
Le vent devrait disséminer rapidement la grande partie de ces éléments chimiques, mais la présence de résidus dans l’environnement pourrait persister, notamment par leur retombée lors de pluies acides.
La représentation des États-Unis à Beyrouth encourage toutefois les ressortissants américains à rester à l’abri et à porter un masque pour se protéger d’éventuelles fumées toxiques. « Il y a des signalements de gaz toxiques libérés dans l’explosion, donc tous les habitants de la zone doivent rester à l’intérieur et porter des masques si disponibles », a indiqué l’ambassade sur son site.
Un lourd passif
De nombreuses tragédies dans le monde, accidentelles et criminelles, ont comme source le nitrate d’ammonium. L’un des tout premiers accidents fit 561 morts en 1921 à Oppau, en Allemagne, dans une usine BASF.
En 1947, Brest fut secouée par l’explosion du cargo norvégien Ocean Liberty qui transportait 3 000 tonnes de la substance. Bilan : 22 morts et 500 blessés.
RFI