dimanche, décembre 22, 2024

Portrait- Qui est Mahmoud Dicko, l’imam qui fait trembler le pouvoir malien?

0 commentaire

À la tête des manifestants maliens, qui réclament depuis début juin la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta, se trouve un homme à l’influence croissante : Mahmoud Dicko. Ancien allié d’IBK, cet imam rigoriste a su jouer un rôle clef dans la crise sécuritaire au Mali, en parvenant à faire office d’intermédiaire auprès des jihadistes.

Les protestations ont repris au Mali pour réclamer le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé IBK. Pour la troisième fois, il étaient plusieurs milliers de manifestants, vendredi 11 juillet, à Bamako, à répondre à l’appel du « Mouvement du 5 juin — Rassemblement des Forces Patriotiques » (M5-RFP), nommé d’après la première date de mobilisation.

À la tête du M5-RFP, coalition hétéroclite rassemblant aussi bien des politiques, des militants anticorruption, des personnalités issues de la société civile et des religieux, on retrouve Mahmoud Dicko, un imam rigoriste. Cet ancien allié d’IBK est désormais l’un des plus fervents critiques du président, jugé par les manifestants comme responsable du recul de la croissance économique et de la persistance de l’insécurité, face aux attaques de jihadistes, notamment.

« Tout le monde est opposé ! Des problèmes communautaires, des problèmes dans l’armée, même entre les religieux… (des) problèmes entre tout le monde… Il y a un malaise dans le pays, il y a une mauvaise gouvernance. Il y a une corruption à ciel ouvert. Je le dis et je le redis ! », diagnostiquait-il dans une interview à RFI en juin.

Président du Haut conseil islamique malien

À 66 ans, Mahmoud Dicko, issu d’une famille de notables de Tombouctou, est une figure familière des Maliens. De janvier 2008 à avril 2019, il préside le Haut conseil islamique (HCI)., un poste d’influence dans un pays à 95 % musulman. Si la majorité de la population est composée de sunnites malékites, Mahmoud Dicko incarne un courant rigoriste, inspiré du wahhabisme saoudien.

Ce père d’une dizaine d’enfants, nés de ses deux femmes, s’est notamment fait un nom en s’opposant en 2009 à l’adoption d’un nouveau code de la famille censé notamment moderniser les usages matrimoniaux, familiaux et successoraux au Mali. Il contraint alors le gouvernement à adopter un texte beaucoup moins ambitieux que prévu, notamment sur les droits des femmes. Plus récemment, il a aussi fait censurer un manuel scolaire d’éducation sexuelle qui abordait l’homosexualité.

Du soutien à la défiance envers IBK

Cependant, Mahmoud Dicko n’est pas systématiquement dans l’opposition. En 2013, il compte parmi les soutiens à IBK lors de la présidentielle de 2013. Il sera même de quelques voyages présidentiels, notamment dans les pays du Golfe dont il est fin connaisseur, grâce à sa formation dans les écoles coraniques d’Arabie saoudite.

Cet érudit s’impose également comme un intermédiaire privilégié avec les jihadistes. Sa connaissance de l’islam et son rigorisme religieux lui conférant un certain crédit auprès d’eux, tandis qu’il jouit d’une relative confiance de la part des élites maliennes. Dans la crise sécuritaire malienne, il est le chantre d’un dialogue avec les rebelles.

En avril 2019, il obtient le renvoi du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, en organisant des grandes manifestations. Ce partisan d’une ligne dure et jugé responsable de l’aggravation de la crise sécuritaire au centre du Mali.

Un glissement du religieux dans le politique

L’imam à la barbichette blanche crée son mouvement, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), en septembre 2019. Depuis, Mahmoud Dicko est devenu un critique vigoureux du pouvoir d’autant qu’il jouit d’une large assise populaire au Mali. Avec le lancement du CMAS, beaucoup lui ont prêté des intentions politiques, ce dont il se défend.

Le charismatique prêcheur a su fédérer la contestation contre IBK en canalisant l’exaspération nourrie depuis des mois par la mort de milliers de personnes tuées ces dernières années dans les attaques jihadistes et les violences intercommunautaires, le ressenti de l’impuissance de l’État, le marasme économique, la crise des services publics et de l’école et la perception d’une corruption répandue. Cependant, selon l’imam, la Cmas n’est pas un parti, mais un mouvement qui a pour « idéaux » des visions religieuses, sociétales et politiques.

« Beaucoup d’opposants qui n’auraient eu aucune chance d’accéder au pouvoir ont décidé de s’appuyer sur l’imam et ses milliers de fidèles, lui conférant un grand pouvoir politique », analyse le chercheur Aly Tounkara, dans Le Monde.

Toutefois, pour le sociologue Bréma Ely Dicko interrogé par l’AFP en juin, les intentions ultimes de l’imam Mahmoud Dicko suscitent l’interrogation. Le chercheur rappelle que ce chef religieux fait partie de ces personnalités, aujourd’hui dans la protestation, qui ont porté IBK au pouvoir en 2013. L’imam s’estimerait mal payé. Il aurait mal digéré qu’on lui ait retiré son rôle de bons offices auprès des jihadistes. Son mentor, le Chérif de Nioro, autre religieux éminent, se jugerait lui aussi maltraité. « Les deux ont été frustrés, et le régime qu’ils ont aidé est devenu le régime à combattre », analyse Bréma Ely Dicko.

Avec France 24