AUX ORIGINES
Naître Gon Coulibaly, c’est, en quelque sorte, naître en politique, avoir un lien intime avec le terroir et le pays, avec des origines. La famille remonte à loin, quasiment à la fondation de Korhogo. Son arrière-grand-père était l’un des chefs suprêmes des Sénoufos. Amadou Gon Coulibaly voit le jour le 10 février 1959 à Abidjan. Il est le fils aîné de Gon Coulibaly, qui a été député PDCI de 1959 jusqu’en 1990. C’est clair, sa route est tracée, mais le jeune Amadou Gon ne le sait pas encore. Gon senior élève ses enfants en les maintenant au contact des réalités du pays. Et surtout du « village ».
Pendant les vacances, toute la famille part régulièrement pour Korhogo. Des multiples allers et retours, des souvenirs, des sensations, loin de la bruyante Abidjan, qui vont durablement s’inscrire dans la psyché du jeune Amadou Gon. À chaque fois, c’est un étonnant voyage qui commence souvent par le train. Le grandpère maternel d’Amadou Gon, Coulibaly Dramane, est cheminot, et le statut offre quelques avantages et des billets, pour les familles. Le train, donc, jusqu’à Ferké, avant de prendre la route. Un périple d’une bonne journée… Korhogo restera au centre des différents univers d’Amadou Gon.
C’est son ancrage, son origine, sa tradition. Il ne lâchera pas la ville. Parfois aux dépens d’autres membres de sa grande famille politiquement turbulente. Il en est maire depuis 2001. Et aujourd’hui encore, une bonne partie de son temps encore libre est consacrée à recevoir les notables, à écouter les demandes, à arbitrer les conflits… Ce qui fait souvent dire à ceux qui ne sont pas ses amis ou ses alliés que, au fond, Amadou Gon reste avant tout un « Sénoufo étroit », engoncé dans le clanisme et la ruralité du Nord, un homme plus à l’aise dans son cercle régional, réfractaire « aux autres », qui n’a pas d’amis « ailleurs ». Des raccourcis, des caricatures qui touchent le nouveau PM. « Ce n’est parce que l’on est attaché à la tradition, aux origines, à son village, que l’on ne peut pas être ouvert aux autres, au monde » répond-il avec une certaine animation dans la voix.
En 1977, Amadou Gon obtient son bac et part à Paris faire ses classes préparatoires au lycée Jean-Baptiste-Say. Il se rêve bâtisseur, ingénieur, à la construction d’un pays jeune et indépendant. Un de ses amis, originaire d’Agboville, avec qui il a passé le bac, Tchere Seka Théodore, fait le voyage avec lui et se retrouve au Lycée Lakanal. Après la « prépa », Amadou Gon intègre l’École des travaux publics. Il travaille, il bûche, mais c’est un bon vivant, il sort avec ses potes, il est amateur de reggae, du groupe Steel Pulse, il s’essaye à chanter aussi. Et c’est évidemment un fan absolu de Bob Marley, icône de toute cette génération. Il ira même un jour à un concert au Zénith.
Une vie parisienne et estudiantine donc sans histoires. Même si la famille est aux prises avec les secousses politiques qui agitent la Côte d’Ivoire. C’est la disgrâce brutale du tout-puissant Philippe Yacé (1980), président de l’Assemblée nationale et successeur constitutionnel. Ceux qui sont proches, comme son père, vice-président de l’Assemblée, sont pris dans les remous. Le moment est rude, et Amadou Gon s’en souvient encore.
LA RENCONTRE
En 1983, jeune diplômé, il entre aux Grands Travaux, service d’élite de l’administration ivoirienne. Recruté par l’incontournable Antoine Cesareo. Il est affecté au service des ouvrages d’art, dirigé par Philippe Serey-Eiffel, qui a découvert la Côte d’Ivoire comme volontaire du service national, incité par Albert Kakou Tiapani, rencontré à l’École des Ponts à Paris. On l’a dit, Amadou rêve de construire le pays, des ponts et des autoroutes. Peut-être de gravir les échelons, une belle carrière d’administrateur, éventuellement un jour patron des Grands Travaux…
La vie de l’ingénieur ambitieux va rapidement basculer. Dès le début des années 1980, la Côte d’Ivoire, modèle d’une Afrique conquérante (incarnée entre autres par le somptueux Hôtel Ivoire et sa patinoire…) entre en récession : baisse des prix du café et du cacao, envolée astronomique de la dette et des taux d’intérêt, contre-chocs pétroliers… Les difficultés provoquent aussi une montée de la contestation politique. La maison Côte d’Ivoire est en danger. En 1989, le président fondateur, Félix Houphouët-Boigny, vieillissant, se résout à faire appel à une personnalité extérieure pour mettre de l’ordre. Et sauver ce qui doit l’être.
C’est le job d’Alassane Dramane Ouattara, banquier, haut fonctionnaire, formé aux États-Unis, président de la BCEAO. ADO s’installe dans une villa attenante au palais du Plateau. Ce sera désormais la primature (et elle le restera jusqu’à Guillaume Soro et Amadou Gon…). Installé aux commandes, ADO cherche vite à prendre en main les moyens de l’État. Il demande le rattachement des Grands Travaux à la primature. Et convoque le nouveau DG, Philippe Serey-Eiffel, accompagné de son adjoint… Amadou Gon Coulibaly. Dans la salle d’attente, ils croisent un certain Daniel Kablan Duncan, appelé à un grand avenir… L’équipe des Grands Travaux intègre les comités interministériels, dirigés par ADO, en particulier celui sur les privatisations. Amadou Gon intervient régulièrement. En octobre 1990, lors du congrès du PDCI-RDA à Yamoussoukro, ADO le reçoit plus longuement. Le « patron » apprécie les qualités de ce « jeune frère » motivé. Amadou Gon quitte donc les Grands Travaux pour intégrer le cabinet d’ADO en tant que conseiller technique.
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L’époque du militantisme. Juillet 2000 : le RDR prépare l’élection présidentielle d’octobre. AGC retrouve Ally Coulibaly (à.g), Henriette Diabaté ainsi que Coulibaly Sangafowa (à dr.). ISSOUF SANOGO/AFPC’est le début d’une collaboration qui ne cessera plus, un lien fort de plus de vingt-sept ans. Amadou Gon ne se rappelle, tout au long de ces années, aucun conflit réel, aucun désaccord majeur. Ils se comprennent. Sont « raccord » sur tous les dossiers. Ils partagent aussi une même culture managériale. À l’origine de cette fidélité à toute épreuve, il y a évidemment, quelque chose qui dépasse la politique. Tout d’abord l’admiration de ces jeunes cadres du pays, en particulier du Nord, pour une personnalité qui avait réussi par son talent, par sa modernité en quelque sorte. Mais il y a aussi quelque chose de plus intime, de quasi filial. Juillet 1990. Au moment où il entre au service d’ADO, Amadou Gon est fragilisé par la perte de son père et le deuil.
Les Ouattara de Kong et les Coulibaly de Korhogo sont proches. Le grand frère d’ADO, Gaoussou, chef traditionnel, descendant de Sékou Ouattara, est l’ami du père d’Amadou Gon. La première fille de Gaoussou a été mariée dans la cour familiale des Coulibaly à Korhogo. Les familles sont alliées, liées. Dans un geste à la fois dicté par la tradition, mais aussi qui lui est très personnel, ADO prend sous son aile Amadou Gon. Comme une adoption symbolique. Toute la force du lien se trouve là.
Pour AGC, les choses sont désormais claires. Son destin sera de se mettre au service de celui d’ADO. Une conviction profondément ancrée. En 1993, FHB décède. C’est la mort du Père de la nation. Le début de ce qui sera une interminable crise de succession. L’accession au pouvoir d’Henry Konan Bédié. Le départ provisoire d’ADO, qui entame une carrière politique, entouré de ses proches. Amadou Gon quitte la primature. Il retourne à sa maison mère, les Grands Travaux, où il se retrouve DGA d’un certain Tidjane Thiam (futur ministre et actuel grand patron du Crédit suisse).
Le RDR a été créé par le brillant Djéni Kobina comme un courant du PDCI. Un mouvement ouvert où se retrouvent des personnalités de sensibilité différentes. Mais, pour les proches du président Henry Konan Bedié, il s’agit avant tout d’une machine de guerre au profit d’Alassane Ouattara. Les affres de la succession du Vieux ont laissé des traces et des blessures profondes. Le concept d’ivoirité s’installe dans la vie politique. Et les cadres du Nord resserrent les rangs face à leur marginalisation sur la scène politique. C’est la scission, la fin d’une époque.
L’HOMME POLITIQUE
Djéni Kobina meurt soudainement le 19 octobre 1998. Amadou Gon fait partie des cadres fondateurs du RDR. Et les troupes, les cadres du parti découvrent progressivement un autre homme. Un politique de terrain. Ce haut cadre, d’habitude policé, posé, tout en retenue, à la parole calibrée, se découvre lui-même. Il donne de la voix dans les meetings, harangue, ne rechigne pas à la bagarre. Il sait prendre des risques.
En novembre 1995, il a remporté le siège de député de Korhogo au nez et à la barbe d’un cousin de son père, soufflé par l’impertinence et l’audace de ce « petit ». Bref, AGC impose progressivement son autorité sur sa région et son influence au sein du parti. À l’Assemblée, il se fait entendre, n’hésite pas à tancer durement le régime du président HKB. Pour les militants, il devient le « Lion », l’un des personnages clés de l’opposition.
En octobre 1999, Amadou Gon, Henriette Dagri Diabaté et plusieurs de leurs camarades républicains, accusés de violences au cours d’une manifestation, sont arrêtés et condamnés à deux ans de prison. Tout le monde est libéré deux mois plus tard, en décembre, à la faveur du coup d’État du général Robert Gueï. Un premier baptême du feu… Amadou Gon n’en garde pas un souvenir trop difficile. « Je n’étais pas seul, racontet-il, nous étions un groupe soudé, nos familles pouvaient venir nous voir. Et quand on déprimait, on se tournait vers Madame Diabaté qui elle ne se plaignait jamais. Et cela nous redonnait de la force. »
L’épisode aura-t-il contribué à rafraîchir jusqu’à aujourd’hui les relations avec le président Bedié ? AGC relativise. « C’était les circonstances, le combat du moment. Les temps ont changé, bien heureusement. Le président Bedié a montré toutes ses qualités de rassembleur. Nous avons désormais un projet commun, la réunification des houphouëtistes, à travers le RHDP. »
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16 janvier 2017. Ensemble, Alassane Ouatarra et Amadou Gon Coulibaly arrivent au Palais présidentiel afin d’assister à la cérémonie d’investiture du vice-président. Daniel Kablan Duncan. Un nouveau poste créé par la Constitution adoptée en octobre 2016. SIA KAMBOU/AFPLa séquence qui suit le coup d’État de 1999 est tristement connue. Intérim Gueï chaotique, élection de Laurent Gbagbo, rébellion, division, guerre civile, Kléber, Linas-Marcoussis, gouvernement d’entente qui devra, un jour, mener aux élections… Tout au long de ces années, Amadou reste aux côtés d’ADO. Il entre au gouvernement comme ministre de l’Agriculture. Il faut gérer le département, où il a une grande latitude, le président n’étant pas particulièrement préoccupé par la gestion du pays… Mais aussi il faut faire de la politique, pousser « Laurent » et ses alliés aux élections. Entre Gbagbo et le lieutenant d’ADO les relations sont minimales. Pas de complicité, pas de petites claques dans le dos. Le président ne tente pas de séduire ou de corrompre un homme dont il connaît l’attachement et la fidélité à son principal concurrent. De 2002 à 2008, les deux hommes se verront en tête-à-tête peut-être une ou deux fois.
UNE AFFAIRE DE COEUR
Les élections de 2011 entérinent la défaite de Laurent Gbagbo et la victoire d’Alassane Ouattara, enfin arrivé au bout de sa quête présidentielle. Le scrutin tourne au fiasco et à la crise postélectorale. Le président battu refuse de céder le pouvoir. C’est l’épisode fameux et tragique du Golf Hôtel. Amadou Gon fait partie des résidents forcés. Comme d’autres avec lui, c’est un souvenir, une aventure déterminante. L’issue pourrait être dramatique. Et pourtant, le président élu reste calme, rassure, encourage, ne cède pas à l’inquiétude. L’entourage est mobilisé par le sang-froid d’ADO. Amadou Gon est particulièrement impressionné. Des semaines de confinement. L’inquiétude partagée. Certains ne se connaissent pas si bien que cela. Ils se côtoient. Ils mangent ensemble, ils échangent. Il y a même des petits moments d’insouciance. L’épisode va souder plus encore l’équipe, et les proches du PM.
Pour Amadou Gon, le moment est plus particulier encore. Le lieutenant, le numéro 2, est malade. Il le sait. Fin 2004, il est venu à Paris, faire un bilan de santé habituel. Il se sentait fatigué, un peu essoufflé. Sans plus. Les médecins découvrent un problème cardiaque. Les examens supplémentaires au fil des mois et des années le confirment. C’est grave. Et cela n’ira pas en s’arrangeant. AGC s’épuise. En janvier 2012, ministre d’État, il accompagne le président Ouattara à Paris en visite officielle. Il est au bout du rouleau. Au terme du voyage, il revoit les médecins. Cette fois le verdict est sans appel. La seule solution, c’est la transplantation cardiaque.
Seul Alassane partagera ce lourd secret. Personne d’autre, ni dans la famille ou le cercle des amis proches. Amadou Gon envisage toutes les options. Mais il ne baisse pas les bras. Le président est moralement déterminant dans l’épreuve : « Tu sais, lui dit-il, je vais prendre ce problème à bras-le-corps, je vais m’en occuper et on trouvera une solution. » Pour Amadou Gon, c’est déjà une immense assurance ! En mars, il est évacué à Paris. Le professeur Pascal Leprince, chef du service de chirurgie cardiaque de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière prend le patient en main. Amadou Gon est placé sur la liste des demandes urgentes de greffe. En juin, un donneur compatible est identifié.
Dans la nuit du 11 au 12 juin 2012, Amadou Gon entre en salle d’opération. Son épouse, Assetou Diallo, est à ses côtés. Amadou Gon lui dit : « Ne t’inquiète pas, je pars pour revenir. Crois-moi. Mais si jamais il devait arriver quelque chose, tu pourras faire confiance au grand frère, à Alassane. » À Abidjan, c’est le président Ouattara qui informe la mère d’Amadou Gon de l’opération.
LE POUVOIR
Amadou Gon reste d’une étonnante distance par rapport à cette aventure entre la mort et la vie. Tout juste admet-il que cela l’a rendu plus serein. Qu’il relativise mieux. Qu’il a pris du recul. Il se sent plus apaisé. Et puis, surtout, il ne se sent plus handicapé. Il respire. Il avance. Il revit… Les contrôles de santé successifs et rapprochés se passent bien. Il exerce pleinement ses fonctions. Ça lui permet certainement d’évacuer les anxiétés. Secrétaire général et ministre d’État, il prend toute son ampleur, au premier étage du Palais. Véritable tour de contrôle. Et il s’amuse des rumeurs multiples de sa mort imminente que chaque voyage ou chaque contrôle médical à Paris provoque.
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Réunions, déplacements, audiences, arbitrages… Pour le Premier ministre, l’emploi du temps est chargé. Ici, moment de pause dans son bureau de la primature à Abidjan. SEIBOU TRAORÉ POUR AM.Amadou Gon prend la vie comme elle vient, il ne se pose pas de questions, il ne s’inquiète pas de son coeur. Il agit. Son image de « numéro 2 » s’impose. Puis, dans l’imaginaire collectif ivoirien, sur la scène politique, progressivement, son statut d’héritier, de dauphin, de successeur. Il se retrouve à l’avant-scène. Pour l’opinion, c’est le deus ex machina. Là aussi, Amadou Gon relativise. Il reconnaît une véritable capacité d’influence. D’inspiration. Mais il souligne aussi que le président a son système. Qu’il y a d’autres personnes de confiance, d’autres personnalités qui ont des postes, qui incarnent une institution. En particulier le Premier ministre Daniel Kablan Duncan. Les réunions à trois, ADO, AGC et DKD, sont très fréquentes. Amadou Gon et Daniel Kablan s’assurent de coordonner, de se parler.
Séquence suivante : scrutin présidentiel en octobre 2015 et réélection haut la main d’Alassane Ouattara. Octobre 2016, référendum et nouvelle Constitution. Une architecture institutionnelle différente se met en place. Une organisation qui répond à la volonté du président d’équilibrer les pouvoirs, à les repartir selon les sensibilités politiques et régionales. Le fidèle Daniel Kablan Duncan devient vice-président. Et Amadou Gon Coulibaly devient Premier ministre. En charge de mettre en place le plan ADO durant cette nouvelle phase du mandat. AGC entre en fonction dans des conditions particulièrement difficiles, en plein coeur des tempêtes : rébellions militaires, chute des prix du cacao, scandale de l’agrobusiness, grogne des fonctionnaires, restrictions budgétaires…
Il mesure la différence, le changement d’échelle. Au Palais, l’influence, au côté du Président, en retrait d’une certaine manière, ce qui n’est pas désagréable. Mais Premier ministre, c’est la responsabilité effective, c’est le « front », la première ligne, surtout en période de turbulences. Il n’y a pas de protection, de parapluie. Il n’y a plus d’heures creuses. On passe de l’ombre à la lumière.
On prend les coups. Il faut aussi gérer la pression médiatique. Amadou Gon aime parler aux foules, a su faire des discours et des campagnes, mais il est nettement moins à l’aise avec les journalistes. Il constate avec humour que dorénavant « il n’a plus le choix ». C’est essentiel, il doit communiquer, expliquer l’action du gouvernement, et ferrailler avec les nombreux adversaires et opposants. Un sacré changement de style par rapport aux couloirs feutrés du Palais présidentiel.
Dans le flux intense de la primature, le PM doit prendre toute sorte de décisions. Mais Amadou Gon, qui sait en général ce qu’il veut, sait aussi écouter. Quand le sujet est d’importance ou que le propos l’intéresse, son regard change, se fixe sur son interlocuteur. Il a aussi besoin d’être en confiance. Sa prudence et sa réserve naturelle peuvent lui jouer des tours, être mal comprises, être interprétées comme de la froideur, voire une forme de mépris. Contrairement à sa légende, lui-même ne se voit pas comme un homme de réseaux, à placer ses hommes, ici ou là. Et à mener des opérations contre X ou Y.
Il se décrit souvent comme un « institutionnel », qui s’appuie sur les structures. Les gens du parti. L’administration. La haute fonction publique. Il cherche à respecter les positions des uns et des autres (comme celle d’Amadou Soumahoro, patron du RDR). Il y a simplement des gens « qu’il connaît » plus que d’autres. Des gens avec qui il est ami, ou plus proche (comme l’entrepreneur Adama Bictogo). Il y a aussi les « jeunes frères » qui ont grandi dans la lutte, avec lesquels il partage un passé, de la complicité, une histoire. Comme le ministre Hamed Bakayoko, avec qui il peut avoir des différents, mais jamais rien de personnel. Et puis, il y a l’équipe du boulot. Les hommes de confiance. Philippe Serey-Eiffel, acteur de toutes les aventures de l’équipe ADO depuis le début, devenu directeur de cabinet. L’ami Tchere Seka Théodore. Les collaborateurs de la présidence qui l’ont suivi à la primature. Et l’appui très précieux d’Emmanuel Ahoutou, le directeur de cabinet adjoint, en poste sous Duncan, qui connaît parfaitement la maison et ses rouages.
Les journées sont pleines, bien chargées évidemment. Réunions de cabinet, comités interministériels, conseils des ministres, audiences diverses, nécessité protocolaire, le PM ne chôme pas. Et en soirée, dans sa résidence, c’est l’apatam, avec des personnalités plus proches, les amis, et l’on a dit également la gestion des affaires de Korhogo, les notables, les arbitrages que l’on demande aussi au chef de la puissante famille des Gon Coulibaly. Un peu plus tard encore, c’est la lecture des messages écrits, des SMS et des mails. Il lit la totalité de ce qu’il reçoit, même s’il ne répond pas à tout « systématiquement ». C’est un couche-tard qui se lève tôt. Et tous les matins, évidement, il y a sport. Une heure. Le tapis roulant en particulier. Pour se maintenir en forme.
Le PM n’est plus un grand « sorteur ». On ne le verra guère dans les restaurants de la ville, les lieux publics. Sa détente, c’est chez lui, le week-end. Des (relatives) grasses matinées, le sport donc, la lecture des magazines… Il suit aussi l’activité et l’actualité de ses cinq enfants. L’aînée a 30 ans. Et le plus jeune est né en 2003.
DEMAIN
Quand on lui parle de bilan, Amadou Gon reste silencieux un court moment. Le poids des années de crise, la période 1999-2011 pèse sur l’histoire et sur les épaules de cette génération. Depuis 2011, beaucoup ont changé, mais on sent une conscience aiguë de ce qui reste à faire pour l’avenir. Il n’aime pas utiliser le mot réconciliation, désormais « galvaudé », « politisé », brandi par les uns ou les autres en fonction de leurs intérêts. Pour lui, il s’agit surtout et avant tout de rassemblement. De rassembler autour de principes, quelles que soient les ambitions et les contradictions qui peuvent animer le champ politique. Qu’il y ait un socle partagé par l’ensemble de la communauté nationale. D’où l’importance du RHDP.
De réunir les Houphouëtistes divisés par l’histoire. La fusion du RDR et du PDCI, il y croit. Il la défend devant les plus sceptiques : « C’est dur, c’est compliqué, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut abandonner. Nous avons besoin de cette “ré-union”, pour assurer justement le plus large socle commun », dit-il. C’est essentiel. Après, il faudra évidemment mettre en place les mécanismes du pouvoir, ceux qui permettent d’arbitrer les conflits, les ambitions des uns et de autres. On ne peut pas opposer ces ambitions à la création de cette plate-forme de large rassemblement. On ne peut pas laisser subsister les germes de la division, de la fracture, simplement au nom du pouvoir.
Étonnant chemin politique. Ce fils d’une grande famille apparentée au PDCI, cet enfant d’un Nord souvent marginalisé et aujourd’hui installé au pouvoir, ce militant et fondateur du RDR, le « Lion », cherche aujourd’hui à promouvoir une grande synthèse.
Certains pensent évidemment que tout cela est assez largement cosmétique. Et que le numéro 2 cherche avant tout à devenir à terme numéro 1. Certains le poussent à prendre plus d’ampleur, à sortir de l’ombre du grand frère, à prendre de l’autonomie par rapport au président. Mais AGC reste fidèle à lui-même : « Je suis d’abord le Premier ministre d’Alassane Ouattara. Le mandat court jusqu’en 2020. Ce sont des années pleines qu’il faut mettre à profit, pour tous. Cette équipe a été soudée par un combat. Par une fidélité à un homme. Elle doit rester en cohésion pour assurer la réussite du président. Les dissensions ne seraient pas acceptables. Pour le reste, on verra plus tard. Et puis, moi, de toute façon, je ne calcule pas. Jamais. Ce n’est pas mon éducation, ni ma nature. Ma vie a été le produit des événements et des circonstances. C’est ça le destin, le vrai. Plus que les grandes décisions. Si je n’avais pas rencontré Alassane Ouattara en 1990, mon chemin aurait certainement été très différent. Alors, je m’investis, dans ce que j’ai à faire. Dans ce qui est devant moi ».
Hic et nunc, comme dirait Sigmund Freud : « Ici et maintenant ».