Après les maigres récoltes révélées lors de la campagne médiatique du gouvernement sur le soit disant « temps des moissons », alors que les populations pataugent dans les eaux saumâtres des inondations, et sont exposées sans protections ni encadrement à la pandémie du COVID-19, le gouvernement s’est lancé dans une nouvelle campagne médiatique pour nous vanter ses soit disant performances économiques. Le ministère des Finances entre deux émissions d’obligations, s’est trouvé une nouvelle occupation : distiller des communiqués dithyrambiques sur les performances « exceptionnelles » de l’économie.
Un jour, on célèbre l’absence de changement dans la notation de l’agence Standard & Poor ( qui demeure de mauvaise qualité c’est-à-dire –investissement hautement spéculatif comparable à des obligations poubelles ou « junk bond ») . Le lendemain, on sort une notation d’une agence de notation –Bloomfield- inconnue au-delà du cercle `vicié des gouvernements africains. Pour finir, on déclare victoire pour être passé de la catégorie très pauvre (revenus faibles) à pauvre (revenus intermédiaire tranche inférieure) selon les classements de la Banque mondiale !
La croissance de la richesse nationale et ses mesures
Dans le communique du ministre des finances et le post d’autosatisfaction du président une mesure de la richesse est mise en exergue, le Revenu par tête d’habitant qui serait passé de $870 en 2018 a $1250 en 2019.
Observons d’abord que dans les statistiques publiées le 1/7/2020 le revenu par tête d’habitant pour 2018 ressort à $1200 et non $870. Comment est-on passé en quelques mois (Avril 2020 – Juillet 2020) de $870 à $1200 ? C’est le miracle du « rebasement » (re-basing) des comptes nationaux sur lesquels nous reviendrons plus loin. Examinons la nouvelle série de revenu par tête d’habitant avant de présenter l’ancienne et discuter du rebasing. Avec la nouvelle base ( mise en place pour 2016 par le gouvernement dit de la rupture), on s’aperçoit que ce qui est présenté comme un exploit est un recul.
Toute cette agitation viserait à préparer le lancement d’un nouvel emprunt obligataire en Euros ou Dollars. Selon le journal Bloomberg, le Bénin aurait lancé en Mars un appel d’offres aux banques étrangères pour mener l’opération, et deux banques françaises – Société Générale et NATIXIS la banque d’investissement du groupe des Banques Populaires de France – seraient dans les « starting blocks »… Au-delà de la propagande et de la course effrénée à l’endettement, quelles sont les réalités que vivent les Béninois. Nous nous appuierons sur les derniers chiffres relatifs à 2019 que la Banque Mondiale vient de publier sur son site (https://donnees.banquemondiale.org/pays/benin ) et celles qui étaient disponibles en Avril 2020 avant la révision des comptes par le Bénin.
Le Revenu par tête de 2019 qui est de $1250 est inférieur au revenu par tête d’habitant de 2014 qui était de $1270 ! Six ans après, avec tous les PAG et toutes les révélations, le Béninois a un revenu moindre ! De $1110 en 2016, le revenu par tête d’habitant est passé à $1090 en 2017 avant de remonter à $1200 en 2018 et $1250 en 2019, toujours en deça du niveau de 2014.
Voilà la performance réelle du gouvernement TALON !
Au-delà des classements, la réalité froide et nue des chiffres montre ce que le peuple ressent tous les jours, son revenu et son pouvoir d’achat baisse. Il s’appauvrit.
La malhonnêteté intellectuelle de nos dirigeants apparaît clairement quand ils comparent le Revenu National Brut par habitant avant rebasing ( $870) au Revenu Brut par Habitant après rebasing ( $1250). Au lieu d’une croissance du revenu de 4,1% ($1200 à $1250) on suggère un bond vertigineux de 43% (de $870 à $1250).
Re-basing ou changement d’année de référence des comptes de la nation
Qu’est-ce que le rebasing et pourquoi le régime Talon change la base de calcul des comptes nationaux ? Les comptes nationaux sont calculés (estimés par échantillonnage et mesures partielles) en valeur à partir d’une base mesurée à un moment donné. Selon l’INSAE la base des comptes nationaux était 2007. Le gouvernement de la rupture a décidé de changer la base et d’utiliser l’année 2015 comme nouvelle base ou référence.
Le premier résultat du changement de l’année de référence (2015) est l’augmentation du PIB de l’année de référence de 36,7% avec effets sur les années suivantes.
Le changement de base s’impose quand on a un changement structurel dans les activités de production (nouveaux secteurs, nouvelles industries absentes dans l’année de référence). Il ne nous apparait pas que la structure de l’économie béninoise ait change entre 2007 et 2015, même si l’INSAE dit procéder a des regroupements différents (TIC). Une deuxième raison est l’importance des variations de change et de l’inflation. Là encore il ne semble pas que les déflateurs (correction des valeurs en tenant compte de l’inflation) utilisés jusqu’alors soient inadaptés. Une des raisons évoquées par l’INSAE est la nécessité de se conformer au système de comptabilité nationale de l’ONU, mis en place en 2008. Pour être valide, l’année de référence doit être une année où on mesure effectivement –ou du moins plus précisément- l’activité de production (au lieu de l’estimer). Cela a-t-il été le cas ? L’INSAE fait état de la prise en compte du dernier recensement (2013), de diverses enquêtes et de nouvelles sources de données pouvant améliorer les estimations. La réalité est qu’on semble avoir moins d’enquêtes (notamment sur la pauvreté, la répartition) publiées depuis 2016 !
Un des défis de la mesure de la richesse nationale est la capture de la production du secteur informel. Il ne nous semble pas que le changement d’année de référence ait résolu ce problème.
Pouvait-on changer la structure des comptes nationaux sans changer l’année de référence ou base ?
Faut-il soupçonner le gouvernement de la rupture de vouloir gonfler ses performances en changeant l’année de référence, avec comme résultat immédiat le gonflement du RNB. Certains le pensent et le disent. Nous laissons le lecteur juge. Que le Nigeria, le Ghana (avec d’importants changements structurels induits par le nouveau secteur pétrolier) et d’autres pays aient changé leurs années de références ne signifie pas que le Bénin doive le faire. Dans ces pays, les changements d’année de référence se sont faits dans des contextes politiques plus apaisés et sereins. En tout état de cause, si on change l’année de référence il faut republier les nouvelles données de comptes de la nation sur cette base.
Jean C.F. Houessou
MBA Computer sciences & economics
Atlanta .Usa
Publié sur lanouvelletribune.info