lundi, décembre 23, 2024

Khady Djibril Ndiaye, pilote de ligne: «J’ai piloté un avion avant de conduire une voiture»

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Khady Djibril Ndiaye est pilote de ligne et instructeur en aviation aux Etats-Unis. La Sénégalaise s’est donnée les moyens de rendre réel son rêve de gamine de Dakar de piloter un avion. Elle encourage les jeunes, notamment «les filles », insiste-t-elle, à davantage s’intéresser à ce secteur, jugé parfois inaccessible. Rencontre avec l’une des rares pilotes sénégalaises…

Qui est Khady Djibril Ndiaye?

Je suis née et j’ai grandi à Dakar au Sénégal. J’ai déménagé à la Nouvelle-Orléans aux USA après le lycée pour poursuivre mes études supérieures. Je suis sénégalaise et je parle couramment Wolof.

Pouvez-vous revenir sur votre cursus ?

J’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires au Sénégal. Ensuite, j’ai fait un Master en aviation et un autre en Administration des Affaires à Louisiana Tech University. Alors que j’étais étudiante, il m’arrivait d’effectuer des vols en aviation. Après mon Master, j’ai travaillé en tant que spécialiste des opérations aéroportuaires dans un grand aéroport (Louis Armstrong New Orleans International Airport) à la Nouvelle-Orléans, pour acquérir plus d’expériences. Après deux ans, j’ai rejoint un programme de pilote accéléré puis obtenu ma licence de pilote professionnel en monomoteur et multimoteur. J’ai également obtenu ma licence d’instructeur de vol certifié. Peu après, j’ai commencé à travailler dans une école de pilotage à Houston, pour former des pilotes, en licence commerciale. Je cumule environ 1400 heures d’enseignement. J’ai rejoint la compagnie aérienne United Airlines Express l’année dernière en tant que pilote de ligne. Cependant, je donne toujours des cours de pilotage pendant mes jours de congé.

Enfant, rêviez-vous de devenir pilote ?

J’ai toujours voulu devenir pilote ou mécanicien d’aéronef. Je ne sais pas d’où m’est venu ce désir mais cela a toujours été le cas. A l’école, j’étais plutôt bon, donc je voyais grand. Mes parents ont cru en mes capacités et m’ont été d’un grand soutien dans tous mes projets.

Quelle a été votre première expérience de pilote ?

Juste avant d’obtenir ma licence, en pilotage privé, j’ai effectué mon premier vol en solo, sans instructeur. Je suis devenue une pilote ce jour-là. Je venais de piloter un avion toute seule.

Avez-vous des anecdotes à ce propos?

Beaucoup, il y a toujours des situations drôles dans le métier de pilote d’avion. Parfois, vous êtes pris dans une tempête qui peut vous inquiéter et parfois vous pouvez avoir des pannes en plein vol. Mais, la solution est toujours de rester calme et de ne surtout pas paniquer. Je fais beaucoup de vol découverte pour des gens qui n’ont jamais été dans un petit avion. Un jour, j’enseignais à une jeune femme à voler, c’était sa première fois. Juste après le décollage, j’ai senti que le gouvernail était vraiment raide et je ne pouvais pas faire grand-chose. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Quand je l’ai regardé, j’ai vu qu’elle avait si peur qu’elle tenait trop fermement les deux commandes du gouvernail, ce qu’il ne fallait pas. Je lui ai dit qu’elle risquait de nous tuer et elle a lâché prise. Depuis ce jour, je m’assure de dire à mes clients de ne rien toucher jusqu’à ce que je leur demande de le faire.


Des sueurs froides en plein vol…
Piloter un avion, c’est aussi la gestion permanente de risques. Parfois, c’est aussi très stressant lorsque vous êtes confronté aux conditions météorologiques et aux pannes. J’ai eu une panne électrique complète une nuit en plein centre-ville de Houston. J’ai dû réfléchir rapidement et trouver un aéroport pour atterrir en toute sécurité avec mon élève. J’ai également eu des problèmes de moteur pendant un vol, mais nous sommes formés pour gérer de telles situations. Nous sommes constamment sur nos gardes.

Qu’est-ce que vos parents pensent de votre carrière ?

Mes parents ont été d’un grand soutien. Mon père est décédé quelques mois avant mon diplôme universitaire, mais il a payé tous mes frais de scolarité et je ne pourrais jamais le remercier assez d’avoir cru et investi en moi. Il était toujours fier de dire aux gens que j’allais être pilote. Ma mère a également été ma rockstar. Elle m’a fait croire que je pouvais le faire et m’a toujours rappelé mes objectifs quand je voulais abandonner. Elle a prié et jeûné chaque fois que je me rendais à un examen. C’est comme si elle était à l’école avec moi. Mes frères et sœurs ont également été exceptionnels.

Quels rapports gardez-vous avec le Sénégal ?

Je suis sénégalaise à fond. Déjà toute ma famille vit au Sénégal. Je parle du Sénégal à tout le monde à chaque fois que j’en ai l’occasion. Je viens au pays au moins une fois par an. En quelques mots, je suis une fière sénégalaise.

Pourrait-on vous voir piloter un avion d’Air Sénégal un jour ?

Oui, certainement si l’occasion et l’opportunité se présentent.

Il y a beaucoup de femmes pilotes en Occident, mais peu en Afrique. Pensez-vous que les femmes sénégalaises doivent s’inspirer de votre parcours et s’intéresser au secteur aéronautique ?

Mon objectif est d’inspirer autant de Sénégalaises que possible. Je travaille avec d’autres personnes sur un projet qui offrirait du mentorat et des conseils non seulement aux jeunes filles sénégalaises mais aussi aux parents. Avec un peu de chance et après que cette pandémie du Covid-19, nous reprendrons nos activités. J’ai appris à piloter un avion avant d’apprendre à conduire une voiture (Rire).

Vous vous coiffez en style Afro, est-ce une marque d’engagement pour la cause noire ou juste du style ?

Je porte mes cheveux naturels parce que je suis fière de ce que je suis. Vivre en Amérique m’a fait plus aimer ma peau noire. Par ailleurs, j’ai été surprise du nombre de personnes qui m’ont félicité pour mes cheveux naturels. J’ai donc décidé de laisser tomber les tissages et d’embrasser ma beauté naturelle. Par ailleurs, je fais du bénévolat avec de nombreuses organisations qui travaillent pour de grandes causes protégeant les minorités, en l’occurrence les Noirs, les femmes et les enfants défavorisés. En adoptant un look naturel, je veux montrer à ces personnes qu’elles doivent être fières de ce qu’elles sont.

Avez-vous un dernier mot pour le public sénégalais ?

Je veux que les Sénégalais sachent que le secteur de l’aviation est accessible à tous. Nous avons tendance à nous limiter sur ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire mais il existe de nombreuses opportunités dans l’aviation. Une petite anecdote. Il y a deux ans, alors que j’étais au Sénégal, un ami proche de la famille m’a dit que le métier de «pilote d’avion» n’était pas pour nous Africains, et que nous devrions le laisser aux ‘toubabs» (blancs). Non, ces préjugés sont révolus. Nous sommes tous d’égale dignité et d’égale intelligence. On apprend à piloter un avion tout juste comme on apprend à conduire une voiture. Mon dernier mot est d’inviter les parents à orienter leurs enfants dans le secteur et l’industrie aéronautique.

Le Soleil