mardi, décembre 3, 2024

Covid 19: Le confinement, une opportunité pour les enseignants?

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« La situation de confinement oblige à de nouvelles formes de pratiques pédagogiques », explique Line Numa Bocage, professeure à l’Université de Cergy. « Elle met à jour la créativité et l’inventivité des enseignant.e.s ». Le confinement aurait un effet positif sur les pratiques pédagogiques au point de changer l’Ecole ?

 

En quoi l’enseignant est-il un médiateur pour ses élèves même à distance ?

 

La situation de confinement oblige à de nouvelles formes de pratiques pédagogiques. JL Durpaire a soulevé les questions d’autonomie et de capacités d’initiative chez les élèves et proposé des pistes de réflexion pour leur travail à distance. Pour compléter ses propositions d’autres réponses sont apportées en termes de développement de compétences professionnelles des enseignants, de transposition didactique, de transformation de cours déjà préparés pour du présentiel en cours à distance, sans perte de savoir à enseigner.

 

Cette situation de confinement entraîne-t-elle du développement professionnel ?

 

Il semblerait que cette situation nouvelle par les contraintes qu’elle impose produit du développement de compétences. Le premier impact est que les professeur.e.s, qui étaient éloignés de l’utilisation du numérique dans leur pratique en classe, se découvrent capables de proposer des cours à distance. Ceci ne se fait pas sans remise en question. Mais soutenus par leurs collègues, en suivant les indications très précises et dignes des meilleurs tutoriels que leur fournissent des collègues bienveillants qui ont déjà trouvé les réponses, ils/elles ont davantage confiance en eux/elles. Cette situation les oblige à réfléchir sur la construction de leurs propres compétences, instrumentées différemment du fait des caractéristiques particulières de la situation : nouveaux outils, nouvelles activités avec leurs élèves, avec leurs collègues, leur hiérarchie, les parents.

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Elle invite au partage ou à l’analyse de pratiques ; les enseignants sont médiateurs pour d’autres enseignants, en plus de l’être pour les élèves. Elle suscite la découverte des espaces collaboratifs, comme de nouveaux espaces de « jeu ».

 

Lors d’une formation à distance avec un groupe découvrant la plateforme E-Space (CY-Cergy Paris Université), nous avons pu relever dans le chat les expressions « On se croirait dans un Espacegame ! », « oui, c’est facile ! ». Le plaisir de la découverte de ces nouveaux espaces existe parce qu’ils/elles sont accompagné.e.s et guidé.e.s, ceci leur permet de comprendre les utilisations pédagogiques et didactiques possibles avec le numérique.

 

Certaines règles sont héritées de l’enseignement en présentiel (gestion des tours de parole, conceptions de supports) mais d’autres sont importées d’un usage spécifique du numérique : forme de mails reçus des élèves, des familles différentes de celles de l’école, tels les sms, smiley, écriture abrégée, familiarité « Salut » au lieu de bonjour. A la fin du cours en ligne le commentaire « Merci c’était bien, mais cela ne vaut pas le live ! » souligne les limites de cette utilisation.

 

Enseigner ce n’est pas donner une information, c’est la rendre accessible et accompagner son appropriation (un savoir/vs/une connaissance, A. Weil-Barais, L’homme cognitif, PUF). Cette prise de conscience d’une non-maitrise d’une certaine littératie numérique conduit à apprendre de l’enseignement à distance pour concevoir d’autres contenus d’enseignement.

 

Cette situation entraine cependant des difficultés ?

 

La situation cible en effet des points de difficulté, mais elle met à jour la créativité et l’inventivité des enseignant.e.s qui ont des stratégies mixtes. Les questions de transposition didactiques se posent. Ainsi, sont conçues de nouvelles manières d’être en relation avec les élèves via les réseaux sociaux pour pallier des surcharges d’ENT ou d’hébergeurs de sites web sursaturés, de faire des liens vers des ressources existantes au format vidéo ou audio.

 

D’autres, accompagnant des élèves présentant des difficultés cognitives pour accéder à un espace numérique de travail sécurisé jamais utilisé auparavant et créé en urgence, mobilisent d’anciennes techniques (entretiens téléphoniques individualisés), créent de nouvelles ingénieries et tutoriels, des classes virtuelles mais avec des contenus utilisables en autonomie par les élèves en asynchrone. La situation entraine aussi le retour à la lecture ou souligne le fait que les enseignants découvrent que les jeunes lisent beaucoup en étant sur les réseaux sociaux ou en utilisant le numérique.

 

Malgré tout, deux écueils se dressent pour une pratique massive et généralisée du numérique : l’accès à un équipement informatique (une famille de 4 : 2 parents en télétravail et 2 enfants, s’il n’y a qu’un ordinateur, on fait comment ?) ; la fiabilité de la bande passante (consommation trop importante aux mêmes horaires, non-stabilité de la connexion). Les enseignants poursuivent malgré tout leur adaptation.

 

Ce n’est donc pas une période de vacances ?

 

« Vacances » ! Qui a dit vacances ? Si le confinement entraine de nouvelles relations entre collègues de disciplines différentes et la découverte des « métiers » des autres, avec leurs facilités et leurs contraintes, cette première semaine a renouvelé la réflexion sur le pédagogique, grâce à des outils numériques partagés. C’est un fait.

 

Mais il a fallu aussi faire face à la créativité des élèves perturbateurs lors de l’utilisation de la plateforme du ministère (Ma classe à la maison). Certains jeunes « hackers » s’introduisent dans les classes virtuelles et font du « chahut virtuel » : interrompre le professeur, écrire n’importe quoi. Les jeunes sont sur leur terrain dans le numérique, génération Y, Z, ils sont camouflés et non identifiables dans une classe de 30. Une enseignante de technologie a trouvé la parade: elle a divisé sa classe virtuelle en groupes de 10, avec ce nombre réduit elle peut plus facilement repérer l’intrus. Ceci multiplie son « heure » de cours par 3 !

 

Malgré l’inventivité et le professionnalisme dont font preuve les enseignant.e.s, qui demandent à être pleinement considéré.e.s, la gestion gouvernementale de la situation, afin d’assurer la continuité du service d’éducation et de formation rendu à la population, est grandement questionnée dans les associations (e.i. l’ARDéCo ou les associations d’enseignants).

 

Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

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