Le Congo, le Zimbabwe, le Gabon, le Soudan, le Tchad et le Mali ont en commun d’avoir vu la connexion Internet coupée, lors de l’élection présidentielle. Au Sénégal, l’Association sénégalaise des utilisateurs des STic (Asutic) redoute le même scénario, à cause du discours des autorités.
Le nouveau Code des télécommunications dérange, précisément l’alinéa 3 de son article 27, qui permet à l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes, ainsi qu’aux opérateurs de décider de qui se connecte où et comment. Fort de ce constat, l’Association sénégalaise des utilisateurs des Tic, en partenariat avec Article 19 et la Ligue africaine des web activistes pour la démocratie (Africtivistes), tire la sonnette l’alarme quant à un risque de coupure d’Internet, le 24 février prochain. En vue de renforcer la vigilance des citoyens, l’Asutic, par la voix de son président Ndiaga Guèye, estime que ‘’le gouvernement a pu créer un cadre légal pour la censure d’Internet et, malheureusement, malgré tous nos efforts, nous n’avons pas pu empêcher la promulgation de cette loi’’. Pour lui, le gouvernement sénégalais a certainement des choses à cacher, vu les dispositions prises.
A quelques jours du scrutin, l’association craint la répétition au Sénégal des exemples du Congo, du Zimbabwe du Gabon, du Soudan, du Tchad et du Mali où la connexion Internet a été coupée durant l’élection présidentielle. Et le président de l’Asutic de poursuivre : ‘’Le discours des autorités est loin d’être rassurant. Ils promettent la non-coupure d’internet lors de l’élection prochaine. Mais, paradoxalement, dans leur discours, le ton durcit, quand ils parlent de réguler et de censurer sur les réseaux sociaux. Rappelons aussi que, dans d’autres pays, le gouvernement avait fait les mêmes promesses.’’
Préparation ‘’psychologique’’ à une perturbation du réseau
Selon lui, l’Etat est dans une optique de préparation ‘’psychologique’’ des citoyens à une probable perturbation du réseau. Un avis partagé par le bloggeur Pape Ismaïla Dieng, présent à cette table ronde. De son point de vue, ‘’c’est un discours de la peur pour créer la psychose et casser cette dynamique d’appropriation d’Internet par les Sénégalais. Les autorités ont peur de cet outil aux nombreuses opportunités qui permet au Sénégalais lambda d’être un observateur. Il peut révéler, dimanche prochain, tout ce qu’il constate quant au déroulement du vote’’.
Des éventualités à craindre…
De cet atelier, l’on retient trois possibilités de perturbation du trafic. Un ralentissement du réseau occasionné par le passage de la 4G à la 2G à l’insu des utilisateurs. De ce fait, l’envoi de messages, de photos et de vidéos serait presque impossible, vu la lenteur. Un autre scénario pourrait être un blocage ciblé d’Internet. Dans ce cas, les applications les plus utilisées par les internautes et les sites web d’information seront inaccessibles. La pire de toutes ces éventualités est bien sûr un blocage total du trafic. Le pays n’est donc pas à l’abri d’une violation du droit à une information plurielle et de la liberté d’expression. Ainsi l’on peut assister à une absence de transparence, si le citoyen ou l’homme de media n’arrive à faire remonter ses informations, surtout en cas de dysfonctionnement.
L’Asutic entend se battre pour un réseau ouvert et accessible à tous, même si elle déplore le silence des acteurs. En effet, ni la société civile, encore moins les partis de l’opposition n’ont daigné répondre à ses interpellations. L’absence des représentants de l’Etat combinée à celle des opérateurs (Tigo, Orange et Expresso) font dire au président de l’Asutic que ‘’le combat n’intéresse personne. Nous sommes seuls, car même les défenseurs des Droits de l’homme au Sénégal sont absents’’. Raison pour laquelle il urge de renforcer, selon lui, la vigilance des citoyens. Pour beaucoup de participants, l’enjeu est de sensibiliser la masse, la multitude d’internautes à faire pression sur l’Etat qui devra garantir un réseau ouvert et accessible.
L’activiste Pape Ismaïla Dieng déplore, pour sa part, le silence des candidats de l’opposition face à cette menace. ‘’Trois d’entre eux sont députés, donc ils connaissent très bien cette mesure comprise dans le nouveau Code des télécommunications. L’un est informaticien, il y a aussi un juriste, pourtant aucun d’entre eux n’est monté au créneau, aucun n’aborde ce volet dans son programme’’, a-t-il déclaré.
L’ancien candidat à la présidentielle, Mame Adama Guèye, pense, pour sa part, que les Sénégalais ignorent la force d’Internet. ‘’On préfère faire de jolis posts qui amusent tout le monde, au lieu de parler de l’essentiel. Aujourd’hui, les internautes peuvent peser lourd dans le déroulement de cette élection, mais ils ne mesurent pas la puissance de cet outil qu’ils ont entre les mains’’. Selon lui, la transparence de cette élection est l’affaire de tous.
La séance s’est soldée par une déclaration pour la protection et l’intégrité d’Internet avant, pendant et après l’élection du 24 février. Les participants ont pu bénéficier d’une formation visant à contourner les possibles perturbations du réseau Internet. Une campagne de sensibilisation a été lancée, même s’il ne reste que quelques jours avant la date tant attendue.
EMMANUELLA MARAME FAYE