Les citoyens du monde viennent de connaitre l’épilogue du procès Hissène Habré, du nom de l’ancien chef d’Etat tchadien jugé à Dakar par les Chambres Africaines Extraordinaires. Le prononcé de la peine est déjà un fait judiciaire et chacun est retourné à ses occupations.
Au cours de cet événement qui a duré une dizaine de mois, un journaliste s’est illustré par une couverture média d’un autre genre. Certains ont fini par lui accoler le surnom « Habré », beaucoup de ce qu’on a su du quotidien de ce procès nous vient de lui et de ses outils (ordi, téléphone, tablette et dextérité).
Jusque dans nos salons feutrés, dans les cars rapides ou à l’arrêt de bus, Papa Ismaila Dieng (@aliamsi) nous a fait vivre en live l’actualité du procès. Il revient aujourd’hui sur son action que des internautes a salué. Nous l’avons croisé et il s’est prêté à notre jeu de questions – réponses. C’est juste inspirant
D’où vous êtes venu l’idée de faire du livetweet pour le procès de Hissène Habré et qu’est ce qui vous a motivé à rester connecté jusqu’à la fin ?
L’idée de faire un livetweet m’est venu le premier jour du procès, le 20 juillet 2015. J’avais commencé, le matin, à faire des posts pour relater la cohue qu’il y avait dans la salle avec la révolte de Hissein Habré.
A la suspension, en contact avec les responsables de Xalimasn.com, on a décidé que je pouvais continuer ainsi et explorer cette voie. C’était assez énervant au début avec les messages et commentaires en feedback du genre « Oooohhh !!! Tu nous saoules avec Habré »…
Puis, c’était devenu un rendez-vous avec mes amis et followers et un challenge personnel. Il devenait impérieux pour moi de mener cette mission (je le prenais ainsi) jusqu’à son terme, de montrer qu’il était possible de faire du journalisme sur les réseaux sociaux, que journalisme et blogging n’étaient pas des activités concurrentes.
En sus, j’apprenais pleines de nouvelles choses sur le droit sénégalais et le droit international. Aujourd’hui, beaucoup me surnomment Habré lol.
L’histoire du livetweet du procès Hissène Habré
Papa Ismaila Dieng – Journaliste blogueur
Des échanges au cours du procès ont, à un moment donné, porté sur le nombre impressionnant de documents à charge et à décharge. Il vous a fallu combien de tweets pour boucler ce procès ?
Wow !!! Je ne sais vraiment pas. Je n’ai pas compté. Le nombre de tweets variait selon les jours. J’ai essayé d’être le plus fidèle possible mais il m’est arrivé de somnoler (rires).
En certains moments, c’était vraiment laborieux. Par exemple, il y’ a eu des témoins dont on ne savait que retenir de leurs propos tellement c’était confus. Il y a des jours où j’avais l’impression que ça parlait chinois dans la salle, surtout lors des dépositions des experts légistes et balistiques. Je ne savais quoi tweeter de ce discours tellement technique.
J’ai dû me résoudre à faire des captures d’écrans de leurs conclusions pour les poster parce qu’il me paraissait important que ce public intéressé par ces éléments du procès y ait accès. De façon assez pratique, j’arrivais à avoir des images du procès en passant par le streaming. J’ai découvert à cet instant l’importance de l’outil capture.
Vous a-t-il fallu des dispositions logistiques ou techniques et une formation particulière pour transcrire des discussions orales sur une si longue période ?
Formation particulière non… J’étais juste guidé par trois choses : mon amour pour la communication, ma passion pour les réseaux sociaux et le besoin de satisfaire les attentes des personnes qui me suivaient.
Après, je dois avouer que cela nécessite une certaine capacité de synthèse. Les gens ne parlent pas en 140 caractères et il faut résumer fidèlement leurs propos, en un tweet. Twitter est un excellent outil pour apprendre la concision. Et puis, on connait tous les synonymes les plus courts (rires).
Côté logistique, je devais juste assurer ma propre connexion puisque le wifi des Chambres Africaines Extraordinaires ne nous était pas accessible. Du coup, je partageais ma 3G pour connecter mon ordi.
Je précise que normalement les ordinateurs et téléphones sont interdits dans les salles d’audience. Mais depuis un certain temps, on le tolère pour les journalistes sous certaines conditions.
Le téléphone ne doit pas sonner et faire du bruit dans la salle, on ne doit pas non plus décrocher un appel mais il nous était loisible d’utiliser les sms et de naviguer sur internet. Il nous était par ailleurs interdit de filmer ou de photographier dans la salle, certainement pour préserver la sérénité des débats.
Dans cette aventure également, il m’est arrivé de vivre mon propre stress. Je vous donne la plus récente, vécue hier à l’occasion du verdict du procès. Au moment où le juge énumérait les circonstances aggravantes et atténuantes, je prépare un post pour donner le verdict en laissant juste un espace pour y insérer une éventuelle peine.
Tenez-vous bien. Au moment d’écrire la peine, PATATRAS!!! Ma machine se plante. Je me rue sur mon téléphone portable après avoir jeté mon ordinateur. Je chauffe, oui oui j’ai chaud parce que mon téléphone qui partage la connexion chauffe et rame … Ma tablette!!! Ouf, oui c’est ma tablette m’a sauvé!
Vous avez mis à jour une façon inédite de faire vivre un événement, en parallèle aux techniques classiques de reportage journalistique. Est-ce un clin d’œil aux rédactions, au vu de la popularité de votre action ?
Inédite… Je ne sais pas. Les gens live-tweetais déjà des événements. Des blogueurs tunisiens l’ont fait en couvrant les travaux de l’Assemblée constituante sauf qu’ils étaient nombreux et se relayaient. Ici la seule différence, c’est que c’est un événement qui s’est tiré sur 10 mois dont 57 jours d’audience.
C’est vrai également que cela change de l’écriture journalistique conventionnelle. On ne peut pas classer le tweet dans une catégorie (dépêche, article ou autres) … Peut-être une brève ou une citation… C’est cela qui change avec également l’instantanéité à l’écrit. On connaissait le direct à la radio ou à la télé mais pas à l’écrit.
Un clin d’œil… Oui absolument. Personnellement je défends l’idée qu’Internet doit être le prolongement de ce qui se faisait dans la presse dite conventionnelle ou traditionnelle – pas dans le sens du contraire à la modernité.
Un livetweet ne va pas dans le fond. Il raconte un fait donné. La rédaction qui se lancera dans cela pourra ainsi se concentrer sur la production d’articles de fonds et d’analyses parce que le livetweet aura déjà fait le travail de compte-rendu.
Alors oui, j’espère qu’il y aura de plus en plus de journalistes qui vont s’adonner à cet exercice et que les rédactions ouvriront leurs portes aux blogueurs qui excellent déjà dans ce domaine. Je souhaite également que les écoles de journalisme l’ajoutent à leurs contenus de formation.
Y’ aura-t-il une suite du procès Habré en ce qui vous concerne ? Des projets d’écriture ?
Une suite… D’abord un travail d’archivage. J’essaie de rassembler le maximum d’archives et de documents sur ce procès. C’est un peu compliqué jusque là parce que les détenteurs ne sont pas toujours prêts à les mettre à ma disposition.
Certains me conseillent de me spécialiser dans ce genre de procès impliquant les questions de droits de l’homme, mais je ne suis pas sûr qu’il y’ aura de sitôt au Sénégal un autre procès de cet ampleur à moins que les Chambres Africaines Extraordinaires ne deviennent une cour permanente établie à Dakar (la rumeur en parle).
Ça fait quand même mon troisième procès, après celui de Karim Wade et de Tahibou Ndiaye devant la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite. Je ne m’intéresse qu’aux affaires à milliards ou à 40.000 morts en jeu (rires). Donc je suis en train d’étudier les possibilités.
Projet d’écriture… Pour le moment j’ai juste écrit « Introduction : ». Sérieusement j’y réfléchis, j’y pense… j’y travaille. Voila ! D’ici là, vous pouvez retrouver l’ensemble de mes posts en un seul clic, juste là
Entretien réalisé le 30 mai 2016, après le prononcé du verdict
El hadj Abdoulaye Seck
Kéneu si wambedmi.com