Dans ce tout internet, tous réseaux sociaux, que devient l’information, c’est-à-dire la nouvelle vraie, vérifiée à la bonne source par un journaliste et diffusée vers divers publics ?
L’avènement de l’internet a donné cette impression que le journalisme est devenu aisé, si aisé que le journaliste en a perdu l’exclusivité de l’exercice. Et le journaliste se contenterait plus que d’être un légitime pratiquant de sa profession du moment que d’autres individus sont venus – grâce à l’internet – le bousculer. Ces dilettantes du journalisme se définissent comme des journalistes citoyens (ou citoyens journalistes ?), ainsi que la question a d’ailleurs été en débat lors des 43e assises de la presse francophone tenue en novembre 2014 à Dakar.
Le problème (ou sa question) est de considérer que tout le monde peut être journaliste moyennant un accès à une connexion internet et à un espace d’expression ouvert sur cette plate-forme ou utilisant cette dernière. Et là, l’information a forcément évolué alors que les journalistes s’en sont tenus à sa définition classique de nouvelle vraie et vérifiée à (aux) la bonne(s) source(s). Et c’est là ce qui est en train de faire la différence et la fera toujours. Prétendant combler les « lacunes du journaliste classique », le journalisme citoyen le fait avec sa conception de l’information. Il se peut même que cette dernière n’ait même pas été passée à la moulinette de la vérification. Et voguent sur l’internet la rumeur, le hoax (une nouvelle spécieuse, mal « sourcée » (voire pas du tout), qui circule sur l’internet et qui a les apparences de la vérité), l’intoxication, la propagande, le canular, propos, images et autres écrits aux antipodes des canons éthiques et professionnels…
Quels que soient les moyens (archaïques, modernes, sophistiqués….) pour la diffuser, l’information ne changera pas de définition ; tout comme les procédures de sa collecte et de son traitement. Il y aura toujours une éthique immuable dans cette profession.
L’information ne changera de définition – et ne devrait pas le faire, même quand son professionnel se laisse griser par les nouveaux outils et espace que sont le web 2.0. Ne changeront pas non plus les procédures de la collecte de l’information et de son traitement. Et de ce point de vue, nous trouvons pertinente cette réflexion lue sur un portail internet et exprimée par un journaliste dont nous avons oublié le nom : « Ce qui ne change pas, c’est la noble mission consistant à rechercher en permanence la « vérité vraie » pour la raconter au monde, en étant armé d’un sens aigu de l’éthique et de l’équilibre ; en refusant de renier à l’homme – qui qu’il soit – son humanité, en gardant leur totale indépendance, en sachant parler sans crainte ni complexe d’infériorité aux gouvernants, en sachant parler sans dépit ni complexe de supériorité aux plus faibles d’entre nous, en sachant rester humain à côté des humains, et encore plus humains et plus soucieux de dignité humaine face à l’inhumain.
Elle ne changera pas la mission de ceux-là qui savent raconter l’histoire quotidienne de l’homme et de son environnement sans la dénaturer, avec comme seul souci de contribuer à changer positivement le monde. Elle ne changera pas la mission de ceux-là qui savent s’armer d’une saine curiosité pour révéler ce que nous cachent les leaders, les imposteurs, les dealers, etc., ceux-là qui savent faire la différence entre ce qui est d’intérêt public, et de tout le reste qui peut bien intéresser le « public » par simple curiosité… disons humaine, mais qui en définitive n’apporte rien au bonheur de l’homme. »
Renchérissons donc, en martelant qu’il y aura une éthique immuable dans ce travail du journaliste par ces temps où certains adeptes de dérive croient que « la preuve de la vérité de l’information est une photo hideuse, sordide ». Dans un numéro (« Une profession et ses exigences morales ») d’ »Avis d’inexpert », la chronique sur les médias que nous animons dans le journal Grand-Place et sur le site www.mediavoce.net, nous avons eu à écrire que « l’ère de l’internet nous a propulsés à ce point d’acmé de la liberté de diffuser par l’image, le son et l’écrit toute information qu’on souhaite porter à la connaissance de publics. Tout cela est généreux, idéaliste, mais la différence entre le professionnel et l’amateur sera toujours que le premier – le vrai – vérifie toute information avant de la diffuser. Il agit en toute responsabilité – ce mot que je chéris et que j’ai toujours dit et répété préférer à l’objectivité. Oui, le journalisme, le vrai, ne peut se pratiquer hors de l’éclairage d’une lourde et véritable responsabilité. »
La preuve de la véracité d’une information ne saurait être une photo hideuse (publiée le 21 janvier 2015 sur un site internet sénégalais) comme celle de cet homme égorgé à Ndioum par un brigand ou de cet autre homme montré tout en sang, son cadavre étalé sur le site internet tambacoundois. Incapables de donner une preuve plus euphémique de leur information, ces sites ont préféré choquer – le scandale étant donc le moyen le plus à leur portée pour donner une information.
Certes, « une image en dit plus que mille mots », mais doit-ce être toute image ? Oui, répondent de plus en plus ceux qui croient devoir s’exonérer que l’étape du témoignage du factuel est facultative et peut être suppléée du moment qu’on a une photo. Certes la photo est elle-même une information, mais il y a une éthique dans son usage.
Tant que l’internet est là, du moins tant que sera fait l’usage que nous savons tous et le déplorons, il nous rappellera la nécessité de sa régulation des contenus de sites se voulant d’informations, même si la mission est pour le moment impossible en raison de l’indigence des moyens pour cela.
Malgré tout, le journaliste web, comme tout autre journaliste, par ailleurs, ne doit être ragaillardi par le sentiment de n’avoir pas de régulateur et, en raison de cela, s’autoriser des libertés, des écarts réprouvés par la déontologie et l’éthique professionnelles. Le journaliste ne doit pas se laisser griser par la modernité de ses outils jusqu’à renoncer à son éthique professionnelle. Le cas le plus expressif de cette griserie, c’est une certaine presse en-ligne. Un jour, nous avons lu, sur un site dakarois, une « info » absolument monstrueuse qui aurait pu valoir la prison à l’administrateur et nous avons convaincu ce dernier de l’enlever. Il l’a fait, mais a prétexté que c’est une blague, et non une information !
Certes, internet est un outil et espace révolutionnaires, mais ne doit pas induire, chez le journaliste, une paresse à respecter les procédures classiques et immuables de la collecte de l’information.
Jean Meïssa DIOP