mardi, novembre 5, 2024

Les OTT nouveau casse-tête des opérateurs par Mor Ndiaye Mbaye

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Comprendre le phénomène

OTT est l’acronyme de Over-The-Top, il adresse les services voix, données, SMS, VoD et autres que nous utilisons sur les réseaux de nos opérateurs mobiles et qui sont fournis par d’autres acteurs qui n’ont aucun accord de quelque nature que ce soit avec ces derniers et qui utilisent leurs infrastructures.

Il s’agit d’un nouveau type d’opérateurs de télécommunications qui utilisent le réseau Internet pour fournir des services aux abonnés des opérateurs légaux de télécom sans disposer de licences ni payer quoi que ce soit à ces derniers dont ils utilisent les réseaux. La plupart d’entre nous utilisons tous les jours les services de ces opérateurs sans nous en rendre compte, il s’agit entre autres de viber, Skype, Whatsapp, etc.

Ce qui se passe est que l’utilisateur disposant d’un smartphone va souscrire un abonnement 3G par exemple pour disposer d’Internet sur son mobile en plus des services voix et SMS. Dès lors il a la possibilité de télécharger et d’installer ces applications et ainsi de passer des appels gratuits ou beaucoup moins chers en utilisant Skype, Viber ou autre. Au début, pour que cela puisse être possible, il fallait obligatoirement que les deux correspondants disposassent de la même application, mais aujourd’hui de nouvelles fonctionnalités ont été implémentées qui permettent à un utilisateur ayant installé viber (ou une autre application du type) d’appeler directement et sur son téléphone portable un correspondant qui, soit ne dispose pas de la même application, soit n’a pas du tout de connexion Internet ou n’est simplement pas connecté au moment de l’établissement de la communication. Ainsi l’appel provenant de viber par ex est terminé sur le réseau de l’opérateur dont l’abonné est appelé sans que ce dernier (l’opérateur) ne perçoive le moindre revenu sur cette utilisation de son réseau par quelqu’un avec qui il n’a signé aucun accord commercial.

Comment est-ce possible ?   

Ce qui rend possible cette pratique est la résultante de plusieurs facteurs combinés dont le tout premier est incontestablement le succès qu’a connu l’innovation technologique. En effet le secteur a connu des avancées technologiques notoires cette dernière décennie, notamment le fulgurant succès de la voix sur IP ou VoIP (Voice Over IP) qui permet de faire passer la voix, donc des appels, sur le réseau Internet et ainsi offre aux communicants la possibilité de réaliser des économies considérables sur leurs appels nationaux comme internationaux mais aussi sur leurs envois de SMS.

Il s’y ajoute le fait que les opérateurs ont énormément investi dans leurs réseaux pour développer une connectivité de qualité partout présente sur leur territoire et continuent encore et encore à investir dans la maintenance de leurs infrastructures mais aussi pour faire face aux technologies de prochaines générations en constante évolution. Ils sont ainsi victimes de leur succès et voient leur forces transformées en vulnérabilités par d’autres opérateurs de types nouveau (les OTT) qui eux, ne possédant pas de réseau, donc n’ont aucune charge à ce niveau, ni en investissement ni en maintenance, et qui concentrent exclusivement leurs efforts dans la fourniture de services innovants, de déploiement très aisé et à haute valeur ajoutée.

Les concepteurs d’Internet et aujourd’hui ses gouvernants, ont voulu et réussi d’en faire un réseau ouvert basé sur le principe du « Open Access » ou libre accès. Ils se sont inspirés de l’esprit de la philosophie des lumières du XVIII siècle qui prône la propagation du savoir pour combattre l’obscurantisme ; une sorte de démocratisation du savoir qui ne saurait s’accommoder de contrôles et de restrictions. C’est ce qui explique que la gouvernance d’Internet, dans son principe et son fonctionnement se soit affranchie des velléités d’interventionnisme des Etats qui n’en contrôlent ni les règles, ni les principes, encore moins les normes. C’est cela qui consacre aujourd’hui la « légalité » de la pratique des OTT sur ce réseau et en proscrit toute action restrictive.

Préjudice

Le préjudice causé aux opérateurs est énorme et ira grandissant tant que durera le phénomène, ou du moins aussi longtemps que ce dernier demeurera dans sa forme actuelle.  Il se traduit par des pertes de revenus considérables et en constante progression, pouvant affecter l’équilibre financier de ces grandes entreprises qui structurellement ont à la fois des Opex et des capex très élevés ; les dommages pourraient être irréversibles pour ne pas dire fatals. A titre d’illustration Selon Ovum, un cabinet de conseil britannique spécialisé dans l’analyse stratégique, le secteur des télécoms pourraient perdre  479 milliards de dollars US à l’horizon 2020 du fait des OTT rien que sur la voix.

Quid de la terminaison des appels et autres services sur les réseaux des opérateurs titulaires de licences?  

Quand un abonné d’un opérateur reçoit sur sa ligne téléphonique un appel ou un sms provenant d’un OTT (Viber, Skype, Whatsapp ou autre), c’est sans conteste un cas de terminaison d’appel.  Nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que l’utilisation des infrastructures d’autrui (bien matériel) pour adresser sa clientèle (bien immatériel) sans son consentement est une pratique illégale quel que soit le pays. Pour le cas du Sénégal le code des télécoms, en son article 23 conditionne l’exploitation d’un réseau ouvert au public à l’obtention d’une licence, il stipule à ce titre :

«L’établissement et l’exploitation de réseaux ou services de télécommunications ouverts aux publics, faisant appel à des ressources rares ou empruntant le domaine public, sont subordonnés à l’obtention d’une licence délivrée par décret portant approbation d’une convention de concession et d’un cahier de charges …».

Il en fixe les sanctions en son article 112 : « Quiconque utilise frauduleusement, à des fins personnelles ou non, un réseau public de télécommunications ou se raccorde par tout moyen sur une ligne privée, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 1 à 3 millions de Francs CFA.. ».

Comme on le voit dans le premier cas (viber-viber, ou skype-skype, …) rien n’interdit l’utilisation de ces applications très bénéfiques aux utilisateurs, puisqu’elle leur permet de réaliser des économies non négligeables sur leur budget communication. Mieux, ce type de communication génère du revenu pour les opérateurs puisque les utilisateurs leur paient une connexion Internet pour le temps de leur communication. Par contre dans le second cas ( viber out ) c’est une perte sèche pour les opérateurs qui ne voient pas passer la communication qui est embarquée sur une bande passante réservée au type d’application utilisée. Pour ce deuxième cas d’espèce les outils de lutte contre la fraude et le by-passing sophistiqués devraient permettre la détection et la localisation des installations frauduleuses.

Que faire ?

Ce nouveau phénomène est mondial en ce sens qu’il préoccupe tous les opérateurs de tous les continents. Des études menées par Consultancy MobileSquared (Cabinet basé à Guilford en Angleterre) ont montré que 25% des opérateurs européens de télécoms ont déjà perdu plus de 5% de chiffres d’affaires en 2012-2013 du fait des OTT. Ceux qui ont suivi l’actualité du Congrès mondial du Mobile tenu cette année à Barcelone ont pu se rendre compte de ce phénomène puisqu’il a été au centre des débats.

Pour autant, je ne pense pas qu’une solution lui soit trouvée, tout au plus des axes de réflexions pouvant déboucher sur un « moindre mal » du genre : « if you can’t beat them, join them » (si vous ne pouvez les combattre, rejoignez les) ont été dégagés. Selon une étude de Tyntec basé en Allemenage, 100% des opérateurs américains ont passé des accords de partenariats avec des OTT afin de capter une part de leurs revenus là où en Europe 18% de leurs homologues ont adopté cette stratégie faute de mieux.

Pour sa part, la Commission européenne préconise une réforme des politiques de réglementation  qui régissent le secteur des communications notamment les fournisseurs de services. Les services OTT qui offrent des fonctionnalités d’appel voix seraient alors considérés et traités comme des opérateurs de télécommunications et par conséquent, soumis aux mêmes lois et règlements que ces derniers.  Meilleure solution ?

A mon humble avis il faudra, entre autres stratégies, opérer une profonde refonte de la structure des offres commerciales des opérateurs qui aujourd’hui privilégient la voix qui demeure le produit d’appel qui continue d’exercer son hégémonie sur la répartition des parts de marché laissant la portion congrue aux autres produits. Il s’agira de travailler à inverser la tendance en introduisant progressivement des offres bundles essentiellement accès sur la data et qui feraient de la voix le produit subsidiaire car comme sur le fixe, le business migrera inévitablement vers d’autres cieux.

Mor Ndiaye Mbaye

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