Olivier Sagna est très bien connu dans l’espace des technologies de l’information et de la communication au Sénégal. Enseignant des Sciences de l’Information à l’Ecole des Bibliothécaires, archivistes et documentalistes de l’Université Cheikh Anta Diop, il aborde entre autres dans cet entretien avec Socialnetlink.org ses débuts et ses performances dans les TIC, l’état des TIC au Sénégal.
D’où est née votre passion pour les TIC ?
Bizarrement au départ rien ne me prédisposait à m’intéresser aux TIC, symbole de la modernité, puisque je suis un historien de formation qui, par définition, tourne son regard vers l’étude du passé ! Cela étant, en parallèle à mes études d’histoire, j’ai fait l’équivalent d’un master en sciences de l’information et j’ai eu la chance, au milieu des années 1980, d’être initié à l’informatique documentaire et notamment à la création et à la gestion de données documentaires. Je dois également dire que pendant ma formation d’historien, j’ai été initié à l’informatique et dans ce cadre, je m’étais vu confier la réalisation d’une bibliographie informatisée sur les villes en Afrique, ce qui a à l’époque était le summum de la nouveauté !
Recruté à l’EBAD, j’ai eu à dispenser des cours d’informatique, d’informatique documentaire ainsi que sur les réseaux documentaires et je me suis intéressé très tôt aux débuts d’Internet au Sénégal et en Afrique, à une époque où notre pays n’était pas encore pleinement connecté à Internet et où le seul service disponible était le courrier électronique. Tout de suite, les possibilités offertes par les TIC me sont apparues comme pouvant être de la plus grande utilité pour le développement de l’Afrique, contrairement à d’autres qui, sur le continent comme à l’extérieur, soutenaient qu’elles étaient un luxe pour les Africains et qu’il fallait d’abord songer à résoudre d’autres problèmes avant d’y recourir (santé, éducation, accès à l’eau potable, etc.). Dès cette époque je me suis battu avec d’autres pour que l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et au-delà le Sénégal soit pleinement connecté à Internet.
Au regard de la tournure prise par les évènements et de la place qu’occupent, aujourd’hui, les TIC dans notre vie quotidienne, je ne regrette pas d’avoir mené ce combat même si pendant longtemps ceux qui le portaient étaient présentés au mieux comme de doux rêveurs et au pire comme des personnes qui ignoraient les réalités du continent africain.
Qu’est-ce qui vous a motivé à mettre sur pied un observatoire des TIC (osiris.sn) au Sénégal ?
L’idée de créer OSIRIS remonte à 1997, lorsqu’avec un groupe d’amis parmi lesquels Amadou Top, Secrétaire exécutif du CONTAN, Alex Corenthin, Président d’ISOC-Sénégal, Ndèye Maïmouna Diop, ancienne Directrice des TIC, Fatimata Sèye Sylla de Bokk Jang, Matar Seck, premier Directeur de l’Agence de régulation des télécommunications (ART), Malick Ndiaye, Directeur de cabinet du Ministre des Postes et des Télécommunications, nous avons décidé de nous regrouper dans une structure à but non lucratif ayant pour vocation d’organiser la veille et d’analyser ce qui se passait dans le domaine des TIC au Sénégal, en Afrique et dans le reste du monde.
A l’époque, il n’existait pas de plateforme citoyenne en la matière alors que, déjà, de nombreuses questions sociétales découlant de la pénétration des TIC dans la société sénégalaise, se posaient avec acuité. Notre souci principal était de contribuer à la réflexion collective et d’influer sur les politiques publiques afin de faire en sorte que les opportunités offertes par les TIC bénéficient au plus grand nombre, que l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers et que l’intérêt national et africain soit toujours mis en avant par rapport aux intérêts étrangers à l’Afrique.
Sur un autre plan, l’ambition était de positionner le Sénégal et l’Afrique comme des acteurs du développement de la Société de l’information et non comme de simples consommateurs de concepts, de produits, et de services conçus ailleurs, par d’autres et pour d’autres de manière à créer une société africaine de l’information organisée autour de ses propres valeurs et surtout de ses propres intérêts.
Qu’est-ce que cela vous a fait et vous dit d’être la personnalité TIC de l’année 2014 au Sénégal ?
Le fait d’avoir été désigné comme « Personnalité TIC de l’année » lors de la première édition du Jambar Tech Awards organisé par le CTIC à la fin de l’année 2014 a été pour moi une grande satisfaction personnelle et constitue une sorte d’aboutissement de mes efforts. Cette distinction récompense en effet un engagement bénévole de près de vingt ans au sein de la communauté des acteurs constituant l’écosystème sénégalais des TIC et il n’y a rien de tel que la reconnaissance de ses pairs.
J’ai également été honoré de constater qu’un grand nombre de personnes, notamment des jeunes, me considéraient comme une référence et surtout connaissaient et appréciaient positivement la contribution apportée par OSIRIS à travers la lettre d’information Batik, le site web d’Osiris et depuis peu le compte Twitter et la page Facebook au développement du secteur des TIC au Sénégal. Enfin cela m’a fait chaud au cœur d’abord d’avoir le soutien de toute une série de gens, amis, collègues, anciens étudiants, parents, etc. qui se sont mobilisés en votant pour moi et ensuite de recevoir de multiple messages de félicitations parfois de personnes que je ne connais même pas personnellement mais me connaissent à travers mes activités dans le domaine des TIC.
C’est d’ailleurs pour moi l’occasion de féliciter à nouveau le CTIC pour cette excellente initiative et d’appeler l’ensemble des acteurs de l’écosystème des TIC à s’impliquer pour que la seconde édition soit encore plus réussie que la première et que cet évènement devienne une institution pour le monde des TIC.
Comment voyez-vous aujourd’hui le secteur des TIC au Sénégal?
Le secteur des TIC au Sénégal, c’est un peu comme notre football ! Pas de travail à la base, un environnement qui laisse à désirer, un gros potentiel, de bonnes individualités mais l’absence d’un collectif et d’une stratégie qui permettent d’avoir de brillants résultats dans la durée. Maintenant, il y a toute une série d’entreprises qui se battent et font un excellent travail et surtout plein de jeunes entrepreneurs qui innovent à la tête de start-up. Cela étant, en dehors du CTIC, il n’y a pas de stratégie ni de dispositifs pour favoriser l’éclosion des talents et surtout la pérennisation de ces entreprises. En dehors de tout ce qui a trait à l’environnement, il faudrait systématiquement avoir recours à l’expertise nationale pour développer toute une série de produits et services qui pourraient ensuite être exportés dans la sous-région, l’Afrique et le monde plutôt que de tourner vers l’étranger pour acheter des solutions qui ne répondent pas forcément à nos problèmes et surtout à nos intérêts sur le long terme. L’enjeu c’est en effet de développer des dizaines et des dizaines d’applications et de services répondant aux besoins de notre société en prenant correctement en compte ses spécificités afin de créer un solide marché national.
Selon vous, est-ce que le secteur des TIC se porte bien au Sénégal?
Si l’on ne peut pas dire que le secteur des TIC au Sénégal se porte mal, la grande majorité des acteurs s’accorde sur le fait qu’il pourrait se porter beaucoup. Les problèmes sont identifiés depuis fort longtemps mais, malheureusement, au-delà des discours de principe, les actes ne suivent pas ce qui entraine la stagnation d’un secteur qui recèle un énorme potentiel. Alors que par le passé le Sénégal était souvent cité en exemple lorsque l’on parlait de développement des TIC, ce n’est plus le cas aujourd’hui et nous nous sommes fait damer le pion par des pays comme le Kenya, le Rwanda, le Ghana, l’Ile Maurice, etc.
Certes les opérateurs de télécommunications, notamment la Sonatel, peuvent s’enorgueillir de leurs bons résultats mais c’est l’arbre qui cache la forêt. En effet, il suffit de regarder ce qui se passe à l’échelle internationale pour savoir que l’âge d’or des opérateurs de télécommunications est du domaine du passé et que désormais l’avenir appartient aux fournisseurs de produits et services numériques. Si le Sénégal veut continuer à compter sur la scène des TIC, il faut donner sans plus tarder la priorité à l’innovation et soutenir ceux qui la portent à savoir toutes ces petites start-up qui se débrouillent sans véritable accompagnement de l’état et des banques, sans lien avec le secteur de la formation et de la recherche et dans environnement légal et réglementaire ne répondant pas à leurs attentes. Il faut espérer que la Diamniadio Valley, dont les autorités viennent d’annoncer le démarrage de la construction, permettra enfin de créer un environnement propice au développement du secteur des TIC au Sénégal.