La seule solution qui a été trouvée par les Etats depuis l’apparition de la pandémie de la Covid-19 est l’utilisation du numérique. Alors, qu’en est – il au Sénégal? Dans un entretien accordé au quotidien Enquêteplus, Cheikh Bakhoum, Directeur général de l’Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE) a abordé les réalisations, innovations et chantiers de la structure qu’il dirige. Socialnetlink partage avec vous une partie de cette interview.
Avec la pandémie, il est beaucoup question de l’utilisation du numérique. Quel a été l’apport de l’ADIE pour aider l’Administration à trouver des solutions à certains problèmes soulevés ?
Je voudrais me féliciter de la résilience dont nous avons pu faire montre, durant cette pandémie, surtout pour la continuité de l’Administration. A ce niveau, l’ADIE a été beaucoup sollicitée par les administrations pour continuer à fonctionner, à échanger au sein de l’Administration, à communiquer avec le public, les usagers de l’Administration. Jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, les infrastructures de l’ADIE ont été utilisées, notamment pour l’organisation de conseils des ministres.
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Ainsi, le président de la République a présidé plusieurs rencontres en mode télé-présence, grâce à nos infrastructures. Nous avons aujourd’hui une infrastructure télécom de dernière génération qui permet d’interconnecter les structures de l’Administration. C’est grâce à cela qu’on peut aujourd’hui organiser des rencontres en mode télé-présence, dans un réseau fermé et sécurisé. On a su montrer la puissance de nos installations, mais également nos capacités à pouvoir faire face quand des situations pareilles se présentent sans pour autant dépendre d’un quelconque prestataire ou d’une multinationale. On sait que dans ce domaine, beaucoup de multinationales ont des solutions.
Au-delà du Conseil des ministres, nous avions un package intitulé ‘’Package Covid-19’’. Nous avions un certain nombre de dispositifs que nous mettions au profit des structures. La plupart de ces solutions étaient déjà développées par l’ADIE. Mais force était de constater que nous avions un niveau d’utilisation faible. Grâce à la Covid-19, toutes les administrations sont venues à l’ADIE pour disposer de ces solutions. C’est l’utilisation de la messagerie administrative, parce que pendant cette période, les mails ont été beaucoup plus utilisés au détriment du courrier physique. Nos plateformes qui dématérialisent et qui gèrent les projets de manière générale ont pu être utilisées par beaucoup d’administrations, dans le cadre de la gestion des projets. Notre réseau, de manière générale, a été beaucoup sollicité. A tous les niveaux, nos services ont été là. Parfois même, on arrivait à des niveaux de saturation. Ce qui veut dire tout simplement que ce sont des infrastructures qu’il faut avoir pour permettre à notre Etat, quelles que soient les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, de pouvoir assurer la continuité de sa mission.
Le secteur privé vous a-t-il sollicité ?
Il y a eu quelques privés que nous avons aidés. Mais 95 % notre action concerne l’Etat. Nous sommes en train de travailler à l’ouverture de nos produits et services, nos produits de manière générale. Nous disposons aujourd’hui de surcapacité sur les infrastructures que nous gérons. Ces dernières, en besoin primaire, sont pour l’Etat. Mais quand même, nous voulons mettre la surcapacité au profit du secteur privé.
Comment vous comptez vous y prendre ?
Pour nos installations de fibre optique, nous avons un catalogue que nous mettons à la disposition des opérateurs titulaires de licence. Nous avons de la fibre optique dans les 45 départements du Sénégal. Ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’opérateurs. Grâce à ces installations, les Sénégalais peuvent disposer du haut débit dans beaucoup de localités, parce que les opérateurs n’investissent pas dans des zones non-rentables. C’est cela l’avantage que nous avons en tant que service de l’Etat. C’est une offre de service que nous allons diversifier pour le service privé. On espère, d’ici quelques années, jouer les premiers rôles dans tout ce qui est digitalisation au Sénégal. Au niveau de l’Etat, on a presque vraiment tout fait.
Parlant de digitalisation, il a beaucoup été question des procédures administratives.
Sur la digitalisation des procédures administratives, on va dire que ces cinq dernières années, nous avons accéléré les choses. Nous avons créé un outil que nous appelons ‘’TeleDac’’. Il permet de digitaliser n’importe quelle procédure en un temps record. C’est une avancée majeure. Cela veut dire que si un ministère nous sollicite sur sa procédure, en moins d’un mois, nous sommes capables de lui délivrer une télé-procédure prête à être opérationnelle. Nous l’avons fait avec beaucoup d’administrations et de structures. C’est une avancée qui a permis de digitaliser une cinquantaine de procédures au niveau de l’Etat. Nous pouvons réaliser beaucoup de choses dans ce domaine, au bénéfice de nos concitoyens.
Malgré tous ces efforts, l’un des principaux casse-têtes reste jusqu’ici sans solution. C’est l’informatisation de l’état civil. Qu’est-ce qui bloque ce projet ?
C’est un projet extrêmement complexe. C’est une compétence transférée aux collectivités territoriales. Ce sont les mairies qui sont compétentes pour gérer l’état civil. Aujourd’hui, c’est le ministère des Collectivités territoriales, à travers la Direction de l’état civil, qui accompagne les mairies à digitaliser l’état civil.
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Aujourd’hui, 100, voire 200 centres d’état civil sont informatisés. L’objectif est de permettre aux 557 centres d’état civil d’être dans les normes, modernes avec une application qui permet de gérer l’état civil.
Il y a un autre objectif qui est d’avoir une interconnexion dans toutes les localités. C’est un projet d’envergure. Le ministère en charge des collectivités territoriales est en train de faire un travail dans ce sens, pour une mise à niveau de tous les centres d’état civil. Ce qui permettra d’avoir une digitalisation intégrale de l’état civil au Sénégal. Ce projet est financé par l’UE et sera logiquement totalement réalisé dans deux ans au maximum.
Deux ans, n’est-ce pas trop long ? Y a-t-il des blocages dans l’exécution ?
C’est plus une question de moyens, parce qu’il faut accompagner les collectivités territoriales. Il faut mettre à niveau les centres qui accueillent les populations. Il faut que les bâtiments soient aux normes. Il faut que, dans certains centres où il n’y a pas d’électricité, qu’on puisse en avoir. Il y a également la problématique liée à la collectivité. Pour que tous les centres soient connectés, il faut un système national. L’enjeu majeur est d’avoir un outil qui répondra à ces problématiques. Cela demande des finances. On a un partenaire stratégique qui est l’Union européenne et qui est prête à mettre plusieurs milliards pour que ce projet puisse être réalisé. Nous, en tant qu’ADIE, nous allons accompagner le ministère, par la mise à disposition de notre réseau qui est national, mais également par notre expertise en termes de développement de logiciels, de mise en place de procédures digitalisées, pour y arriver rapidement. Au moment où je vous parle, un atelier est organisé dans ce sens par le ministère et nos équipes sont là-bas pour participer aux travaux.
Le Sénégal est le cinquième pays le plus touché par les cybers attaques. Est-ce que cela veut dire que nous sommes tous en danger ?
Pour la cybercriminalité, c’est une réalité partout dans le monde. C’est moins problématique pour nos Etats, parce que nous n’avons pas beaucoup de systèmes d’informations présents dans la toile. Mais plus on va se digitaliser, plus on va être exposé. Du coup, autant nous devons investir sur les systèmes d’informations, la digitalisation des procédures, autant nous devons investir sur les systèmes de défense, la cyber-sécurité en général.
Il faut saluer la vision du chef de l’Etat qui a, aujourd’hui, mis en place la première école à vocation sous-régionale et orientée dans la cyber-sécurité. Elle va permettre, non seulement de former les jeunes de manière générale, mais également les agents de l’Administration. C’est un établissement logé à l’Ecole nationale d’administration. Ce qui va permettre de prendre les dernières préoccupations dans le domaine.
Au-delà de cette école, l’Etat est en train de faire de gros investissements dans le domaine de la cyber-sécurité. On est en train de travailler sur le projet ‘’Security Operation Center’’ qui est le centre des opérations de sécurité.
Aujourd’hui, au niveau de l’ADIE, on a lancé un petit centre, il y a deux ans, pour prendre en charge les problématiques liées à la cyber-sécurité pour l’intranet administratif. Mais l’idée est d’avoir un centre qui va gérer l’ensemble des réseaux du Sénégal, qu’ils soient publics ou privés. Ce qui va renforcer davantage notre capacité à pouvoir faire face aux attaques des cybercriminels. A ce niveau-là, nos autorités seront bien sensibilisées, mais également avec le personnel de qualité que nous avons dans l’Administration au Sénégal, je pense que nous pouvons faire face et prendre en charge les défis liés à la cybercriminalité.
Quel est l’intérêt de la construction de Data Center à Diamniadio ?
C’est un projet extrêmement important. D’abord, pour le président qui a eu la vision de mettre un Data Center de dernière génération à Diamniadio. Il prendra en charge tous les besoins, en termes d’hébergement, des données de l’Etat du Sénégal. Ce sera un dispositif qui sera aux normes. Il est de type Tier 3. Ce qui va être une première dans notre Etat. Il va permettre à beaucoup d’entités privées d’avoir une possibilité d’héberger des données au Sénégal. Il y a quelques opérateurs qui ont fait des investissements dans le domaine. Mais ce que l’Etat a fait au niveau de Diamniadio va permettre de faire du Sénégal un hub technologique qui va renforcer la visibilité de notre pays et le rendre plus attractif. Il va permettre à beaucoup de grandes multinationales, comme Google et Facebook qui ont aujourd’hui besoin de ce genre d’infrastructures, de pouvoir s’implanter au Sénégal.
C’est vraiment un projet structurant qui va renforcer la place du Sénégal dans le domaine technologique.
Où en êtes-vous avec le projet Smart Sénégal ?
C’est un projet qui est presque au bout et qui a cinq composantes. La première est la partie ‘’Smart territoire’’, avec des territoires intelligents. Nous voulons faire bénéficier à l’ensemble des territoires les technologies que nous développons. On a prévu, dans ce cadre, de mettre en place ce qu’on appelle les ‘’Espaces Sénégal services’’. L’idée, c’est d’avoir un guichet unique dans les 45 départements. Dans chaque département, les services de l’Administration pourront travailler en un seul point, d’abord grâce aux plateformes qui seront accessibles dans chaque espace. Nous allons mettre en place une plateforme d’intermédiation qui sera connectée à toutes les plateformes digitalisées au niveau de l’Etat. On a la plateforme, par exemple, pour gérer les impôts à la DGID. Il y a celle pour gérer les transactions à la douane, le permis de construire est digitalisé également. Nous allons pouvoir accéder à toutes ces plateformes digitalisées à partir d’une seule et même plateforme. L’usager qui va venir, quelle que soit la procédure qu’il veut effectuer, pourra le faire directement dans ces espaces. Il n’aura plus besoin de se déplacer dans les administrations.
Nous avons également la partie ‘’Education’’. L’ensemble des universités du Sénégal sont interconnectées dans un réseau fermé. Ce qui permet d’avoir des échanges en temps réel entre les universités, mais surtout permet aux étudiants qui sont dans ces campus de pouvoir se connecter dans des plateformes hébergées directement dans des universités. Ce qui augmente les ressources pédagogiques et renforce tout ce qu’on a fait jusqu’ici sur le télé-enseignement.
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Au-delà de ce volet, nous avons la partie ‘’Sécurité’’ avec le programme ‘’Les villes sûres’’ ou ‘’Safe City’’. Nous avons travaillé avec les forces de défense et de sécurité sur ce projet. Avec ce projet, nous voulons rendre nos villes plus sûres, en permettant aux forces de défense et de sécurité de pouvoir agir vite. Il y a un problème dans les places publiques, en général. On a mis plus de 500 caméras intelligentes au niveau de Dakar, de Saly, de Mbour, de Kaolack, de Saint-Louis, de Touba et de Mbacké. Ces grandes villes, qui regroupent beaucoup de populations, ont ces dispositifs avec des centres de commandement qui permettent aux forces de défense et de sécurité de pouvoir non seulement surveiller ces espaces, mais également pouvoir coordonner leurs actions. Que cela soit la police, la gendarmerie, les sapeurs-pompiers ou les services du ministère de la Santé, ils pourront tous communiqué avec les centres de commandement. On espère qu’ainsi, ces villes seront les plus sûres du monde, à l’image de Londres, de New York où il y a exactement le même dispositif.
Au-delà de ça, nous avons la partie ‘’Wifi public’’. L’enjeu de la connectivité est un enjeu majeur, même économiquement, parce que plus les gens sont connectés, plus notre économie va mieux se porter, parce que nous allons permettre à beaucoup de Sénégalais, de nos patriotes et des gens qui vivent au Sénégal, de pouvoir disposer de l’information sur Internet, mais également d’y mettre de l’information. Il nous permet ainsi d’interagir avec le monde. La Banque mondiale dit qu’aujourd’hui, s’il y a une pénétration à haut débit de 10 % de la population, le pays gagne en moyenne une croissance de 1 %. Ce qui veut dire que plus on va donner accès aux Sénégalais le haut débit, mieux se portera notre économie.
Vous avez parlé de wifi public. Discutez-vous, pour cela, avec les opérateurs ?
On discute avec tous les opérateurs. Il n’y a pas d’exclusivité. Nous n’avons pas la prérogative de vendre l’Internet. Nous sommes obligés de passer par les opérateurs. C’est pourquoi nous travaillons avec tous les opérateurs. Sur beaucoup de sites à Dakar, nous sommes avec Free. Nous sommes en négociation avec Orange et Expresso sur plusieurs sites au Sénégal. L’objectif est de rendre très abordable l’accès au haut débit. On sait que la connexion 3 G et 4 G coûtent un peu plus cher. Le wifi, en termes de coût, est beaucoup plus abordable et accessible. Avec ce dispositif que nous avons mis en place et qui marche avec le solaire, c’est beaucoup plus rentable. En termes de maintenance, c’est beaucoup plus facile. Avec ces dispositifs, nous renforçons l’infrastructure existante en matière de connectivité, de mobilité avec celle déployée par l’opérateur.
Et la dernière partie de ce programme Smart Sénégal est le ‘’câble sous-marin’’. Dans le cadre de l’accès au haut débit, nous aurons, d’ici décembre 2021, normalement, un nouveau câble qui va atterrir sur les côtes sénégalaises. Il va renforcer la bande passante internationale de notre pays. Il permettra à l’Etat d’être autonome, parce qu’aujourd’hui, nous dépensons plusieurs milliards pour nous connecter à Internet. Avec ce nouveau câble sous-marin, notre objectif est de baisser au maximum l’utilisation de l’Internet au niveau de l’Etat. Ce sont des coûts que nous allons éliminer et ces économies, nous allons pouvoir les investir dans d’autres domaines prioritaires.
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L’ADIE est le premier opérateur de fibre optique. Tout ce qui nous manquait, c’était d’avoir accès au câble sous-marin. Ce qui va nous permettre de rendre l’Etat autonome. Nous disposons également de la surcapacité que nous mettrons à la disposition des opérateurs titulaires de licence, des fournisseurs d’accès Internet pour leur permettre de vendre aux Sénégalais de l’Internet.