jeudi, novembre 7, 2024

La ruée vers l’entrepreneuriat défie tant bien que mal un sous-emploi endémique…

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Enhardis par le discours des coachs et des politiques, les jeunes Camerounais se lancent de plus en plus dans l’entrepreneuriat pour faire face au chômage. Chaque année, de nombreuses PME voient le jour dans le pays mais l’enthousiasme du début se heurte très souvent à la dure réalité du terrain.

Le Cameroun est-il le nouvel eldorado des PME en Afrique? On pourrait le croire, à en juger par le nombre de petites entreprises qui naissent dans ce pays d’Afrique centrale.

Selon les données officielles du ministère des PME, de l’Économie sociale et de l’Artisanat, 14.229 nouvelles structures ont vu le jour en 2019, soit 800 de plus qu’en 2018 (13.423). Les start-up surgissent à foison, tels des champignons. 

Pour les promoteurs, les raisons sont diverses: «J’ai toujours eu le sens des affaires», se targue Leonnel Ngongang, promoteur d’une entreprise de distribution et de prestation de services à Douala.

«Dans ma famille, tout le monde est entrepreneur, j’ai grandi en cultivant l’esprit d’initiative», ajoute-t-il à Sputnik.

Si, pour Leonnel Ngongang, le déclic est parti du cocon familial, beaucoup y sont arrivés par un hasard de circonstances. C’est le cas de Naomi Dinamona, créatrice d’une start-up de nutrition infantile. Aujourd’hui, son entreprise Leelou Baby Food tourne bien, elle a embauché une dizaine de salariés. Mais il y a un an, elle s’occupait de sa fille et se contentait de publier des recettes sur Instagram.

«Un jour, une femme m’a contactée pour me demander de lui proposer des recettes pour son bébé contre rémunération. Comme les retours étaient très bons, j’ai commencé à avoir de grosses commandes en ligne alors j’ai décidé de m’y mettre à fond», relate-t-elle à Sputnik.

Lutter contre le sous-emploi

Dans un contexte caractérisé par le chômage et où le sous-emploi touche 70% des jeunes, ces initiatives sont un pis-aller pour la plupart. Pour Serges Ekamb, expert en entrepreneuriat et management stratégique, plusieurs causes expliquent cette ruée vers la création d’entreprise. 

«Cet engouement vient de plusieurs facteurs: l’accès à l’emploi n’est pas évident, les technologies évoluent. Les gens se tournent également vers l’exploitation de nouvelles chaînes de valeur comme l’agriculture.»

«Il y aussi le fort taux de chômage», se désole Fabrice Fernand Fangwa, 29 ans entrepreneur et enseignant dans une école de commerce. «Beaucoup de jeunes diplômés et même de non-diplômés qui désirent s’en sortir se sentent obligés de se mettre à leur compte», poursuit-il. 

«On observe en outre un effet de mode car c’est plus facile de s’identifier comme entrepreneur que comme chômeur», ajoute Serge Ekamb au micro de Sputnik.

Landry Feukam, jeune promoteur d’une start-up de logistique urbaine, vient de célébrer le premier anniversaire de sa structure. Avec sa formation en publicité, il n’a effectué qu’un court séjour dans une agence de communication avant de se lancer à son propre compte. Son objectif était d’éviter la précarité qui caractérise l’emploi dans son secteur.

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«Je souhaitais aussi être acteur dans le processus de création de  richesse au Cameroun en apportant une solution socio-économique. Sur le plan sectoriel, j’ai voulu résoudre la problématique de la livraison urbaine dans nos grandes métropoles», détaille le jeune entrepreneur.

Des entreprises programmées pour échouer?

Face à la précarité et la rareté de l’emploi, de nombreux jeunes prennent de plus en plus ce genre d’initiatives mais ils n’en maîtrisent pas toujours les fondamentaux. «Après la fin de mes études en 2005, j’ai eu du mal à trouver un poste stable», se souvient Thierry Tenkeu, ex-patron d’une petite unité de transformation agro-industrielle dans l’ouest du pays.

«Beaucoup, autour de moi, m’ont encouragé à me mettre à mon propre compte. C’est ainsi que j’ai lancé mon entreprise en 2008. Mais j’ai dû mettre la clé sous la porte deux ans plus tard, faute de moyens financiers pour étendre mon activité. Nous n’avions pas les garanties que les banques demandaient», déplore Tenkeu, qui enchaîne depuis les emplois précaires.

C’est que si l’engouement autour de l’entrepreneuriat est très souvent salué dans les discours politiques et encouragé par des coachs de tout genre, la réalité n’est pas aussi rose qu’on la présente. En effet, selon des chiffres officiels non actualisés, sur dix entreprises créées, seules deux survivent tous les cinq ans. Entre 2010 et 2015, le taux de mortalité des PME était de 72,24%.

Passé la phase de lancement et l’euphorie des débuts, l’enthousiasme a souvent tendance à retomber devant les difficultés liées à la croissance de l’entreprise. Le problème? «Un manque de vision», estime Serges Ekamb.

«Cette galopante mortalité est à mettre sur le compte d’un manque de vision, de formation et d’accompagnement à l’entrepreneuriat, notamment l’accès aux financements», analyse l’expert.

«On ne peut pas demander à un jeune qui vient de se lancer des garanties –comme des titres fonciers. Il faut alléger les procédures et donner du temps pour bâtir un capital solide», se désole quant à lui Thierry Tenkeu.

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Dans le pays, malgré des initiatives publiques d’accompagnement et de financement des PME –comme l’Agence de promotion des PME et la Banque camerounaise des PME–, les petites entreprises restent encore confrontées à de nombreuses contraintes, notamment le difficile accès aux financements. Et pourtant, les PME représentent officiellement 90% du tissu économique du Cameroun. Cependant, comme dans la plupart des États du continent, frappés par le chômage et la précarité de l’emploi, des jeunes essaient de trouver des voies et moyens pour se réaliser.