vendredi, novembre 22, 2024

« Ndiaga Ndiaye » et autres « Diallo Picc », version sénégalaise de l’esprit d’entreprise

0 commentaire

Le rappel à Dieu du célèbre transporteur sénégalais El Hadj Ndiaga Ndiaye, à l’âge de 89 ans, est l’occasion de revenir sur un type spécifique d’entrepreneurs sénégalais partis de rien pour se hisser haut, souvent contre toutes les logiques de la rationalité économique, bien des fois à l’encontre des codes convenus de la libre-entreprise, version occidentale.

De Ndiaga Ndiaye, l’histoire et les jeunes générations retiendront un esprit entrepreneurial légendaire, dont le symbole naturel consiste en ces « cars Ndiaga Ndiaye », du nom de ces véhicules de transport en commun popularisés par leur accessibilité.

Une indentification qui traduit toute la force de la marque que Ndiaga Ndiaye a laissée sur son pays et l’imaginaire de ses compatriotes, bien avant son rappel à Dieu.

Le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, El Hadji Omar Youm, ne s’y est pas trompé, qui a salué sa mémoire dans un communiqué, avant de lui rendre un hommage appuyé.

« C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le rappel à Dieu de Monsieur Ndiaga Ndiaye, figure emblématique du secteur des transports routiers. Avec sa disparition, le Sénégal perd un pionnier et une référence, imbu des valeurs de citoyenneté, qui a œuvré, toute sa vie durant, au développement d’un transport responsable au service des populations ».

« Lorsque le nom d’une personne est associé à un produit au point de finalement identifier ce produit, cela traduit assurément un grand succès commercial ou marketing. C’est ce qui est arrivé à Ndiaga Ndiaye, le plus grand transporteur que le Sénégal ait connu », écrivent les journalistes sénégalais Mody Diop et Amadou Bator Dieng, dans leur livre consacré au parcours de grands entrepreneurs sénégalais.

Dans leur livre intitulé « Croire en soi » (Parcours de grands entrepreneurs), Mody Diop et Amadou Bator Dieng, rappellent que Ndiaga Ndiaye est considéré comme « le père du + carrapide+ ». Ils écrivent : « En effet le Sénégalais ne dit plus : +je vais prendre un transport en commun’’, il dit : +Je vais prendre un Ndiaga Ndiaye+ ».

Dans cette publication datant de décembre 2019 (Editions Nègre International), les deux journalistes font naturellement la part belle à la classe des Ndiaga Ndiaye, Lobatt Fall, Diallo Picc, Silèye Guissé et autres Bocar Samba Dièye.

« Partis de rien, souvent issus de familles modestes », ces entrepreneurs « ont réussi à se hisser au sommet par la seule force de leur intelligence, de leur volonté d’entreprendre », écrivent les deux journalistes sénégalais au sujet de ces « précurseurs ».

Des self made men partis de rien, sans passer par les bancs de l’école française.

Ils peuvent se prévaloir d’une certaine « générosité » aussi, de même qu’il peuvent se targuer d’avoir expérimenté avant l’heure « cet esprit d’entreprendre que d’aucuns nommeront de façon triviale +débrouillardise+ (…) », sans doute toute la force de ces « self made men qui se sont faits tout seuls, sans forcément passer par les bancs ».

Les deux journalistes reviennent ainsi sur le parcours de « certains traitants comme Ahmet Gora Diop, le marabout-agriculteur Cheikh Anta Mbacké, Wagane Diouf, Alassane Seydi de la Casamance, Amadou Assane Ndoye et bien d’autres ».

« Ils seront suivis par les pionniers dont certains ont même bâti des empires. On pense à El Hadj Djily Mbaye et Ndiouga Kébé, mais aussi à Tamsir Mboup, Bara Mboup, Lobatt Fall, Diallo Pic, Rokhaya Sall, Dior Diop, Ndiaga Ndiaye, Silèye Guissé, Bocar Samb Dièye et autres ».

Il y a ensuite les « héritiers naturels » comme Serigne Mboup, mais également des +inconnus+ tels Cheikh Amar, Harouna Dia, Aimé Sène, Babacar Ngom, El Hadj Ndiaye, Youssou Ndour, Diouma Dieng Diakhaté, etc. »

S’agissant de Ndiaga Ndiaye, après des études coraniques, il s’installe à Mbacké où il apprend le métier de chauffeur avant d’obtenir le permis de conduire à Saint-Louis (nord) en 1955.

Il se voit chauffeur de car, obtient son premier véhicule et décide de faire le trajet quotidien Darou Mousty-Dakar. « Il se fait un devoir de permettre aux ruraux d’accéder à la capitale et vice-versa. S’imposant alors une rigueur sans égale, Ndiaga Ndiaye ne sort de son trajet pendant près de 20 ans et économise beaucoup d’argent », écrit MM. Diop et Dieng.

Il achète par la suite « un car Mercedes-Benz 508 qui deviendra plus tard le fameux +Ndiaga Ndiaye+, puis un autre, pour finalement se retrouver avec un parc impressionnant ».

« Ndiaga Ndiaye est pratique et il va le montrer. Il ouvre deux garages mécaniques pour entretenir ses véhicules et diminue ainsi les lourds frais de maintenance. Ensuite, il délaisse le volant et organise les départs, choisit les chauffeurs, fixe les versements et supervise tout. Les 20 ans passés sur les routes du Sénégal comme chauffeur l’aident énormément », raconte les deux journalistes.

Ils ajoutent : « Ndiaga Ndiaye met enfin en place un système qui fera du chauffeur d’un car le propriétaire du véhicule après quelques années de service. En 1986, il comptait jusqu’à 350 bus dans son parc ».

Le parcours de « Diallo Picc », parmi d’autres, n’en est pas moins passionnant et riche d’enseignements, de son loin Diaba natal, dans le Podor profond, au nord du Sénégal, à Dakar, une trajectoire ressemblant à « un véritable conte de fée tant il était improbable que le jeune Foukanté puisse atteindre les sommets de la réussite sociale et cela à la seule force de son intelligence et de son esprit d’entreprise ».

« Diallo Picc’’ passait pour un original sinon un fou

« Diallo Picc », employé à ses débuts dans une société de pêche, remarque la forte attirance des amis de son patron blanc pour les oiseaux. « Il se dit qu’il tient là une opportunité et n’hésite pas à commander de multiples oiseaux en brousse pour les revendre à Dakar », souligne les deux auteurs.

Selon eux, « Diallo Picc » est d’abord pris pour un original, pour ne pas dire un fou, quand il se met à aménager des terrasses en coquillages pour les oiseaux alors que les gens ont besoin de maisons pour se loger. « Mais il n’en a cure. Il organise son business, met à contribution de jeunes villageois qui l’approvisionnent et cela marche au-delà de ses espérances ».

« Le voilà même bientôt en train d’aller vendre ses oiseaux en France et les commandes affluent de partout dans le monde. La fortune est au rendez-vous et notre homme d’affaires investit dans la pêche. C’est ainsi qu’il va se retrouver à la tête d’une véritable flotte de bateaux de pêche », relèvent-ils.

Comme Ndiaga Ndiaga et « Diallo Picc », ces lignes peuvent se coller à la trajectoire de bien d’autres entrepreneurs sénégalais, bien plus qu’on ne le croit.

La vie et le parcours de ces self made men a ceci de vertueux qu’ils donnent aux plus jeunes l’exemple vertueux de gens qui se sont faits sur le tas, contre les discours économiques modernisants qui incluent tous les paramètres sauf la profondeur de la foi de celui qui croit en soi et à son destin.

Par APS