vendredi, novembre 8, 2024

Taxation des GAFA : Biarritz et la cyberguerre froide

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L’impunité fiscale des géants du web Google, Apple, Facebook et Amazon… d’où l’acronyme GAFA, est un débat qui fait rage dans l’écosystème mondial, et au-delà. Elle est autant d’acuité que d’actualité au regard des enjeux diplomatiques financiers et politiques en jeu.

Elle est d’ailleurs une des questions centrales abordées à l’occasion du sommet G7 qui s’ouvre ce samedi à Biarritz. Le Président Emmanuel Macron y défendra un projet de taxation mondiale des géants du numérique. Ce n’est point une sinécure !

Le nouveau monde des GAFA

Il faut rappeler que les GAFA occupent des positions dominantes dans leur secteur, parfois carrément monopolistiques ; ils ont détruit la concurrence. Ils ont collecté une masse himalayesque de données (Big Data) sur la vie privée des gens à des fins lucratives.

Ces « sociétés du septième continent », comme on les appelle, brassent des chiffres d’affaires qui dépassent le budget même de certains Etats européens. La richesse des GAFA est comparable au PIB de la France (2600 milliards de dollars), elle sera dans cinq ans, celui de l’Afrique et dans dix, quinze ans celui de l’Europe. Et un jour certainement celui du monde !

Ils font partie des entreprises mieux cotées en bourse. Ils édictent leurs propres règles au su et au vu des Etats souverains. Ce qui du coup, leur confère un pouvoir d’influence et une puissance particulière. Ce qui les permet également de parler d’égal à égal avec les Etats du G7 par exemple, et de parler comme David à Goliath avec les Etats du tiers monde. Ces majors du numérique sont la nouvelle signature de l’hyperpuissance américaine. Et comme le reconnait Charles Edouard Bouée, « En Chine on considère déjà les Etats Unis comme la nation dominante d’hier et Google la nation dominante de demain. »
Aussi, échappent-ils presque à une imposition des « activités de services dématérialisées, à distance et transfrontalières ».

L’Afrique est encore pour eux un « no man’s land ».

En France, la taxe sur les géants du numérique a été adoptée définitivement le 11 juillet 2019, alors qu’un consensus européen ou international n’a toujours pas été trouvé.
Plus que le symbole politique, l’enjeu financier de cette nouvelle imposition est important. Le fisc Français va engranger autour de 500 millions d’euros de recettes annuelles.

Le branle-bas des régulateurs du numérique et parlement en Europe sur ce sujet commence d’ailleurs à donner du succès. Il a permis par exemple à l’Union Européenne d’infliger à Google une amende salée de 4,3 milliards d’euros ! Le géant de la Silicon Valley est accusé d’abus de position dominante.
Grâce à l’entregent du régulateur britannique, Facebook risque de payer une sanction de 500 000 livres sterling (562 000 euros, le maximum prévu par la loi) dans l’affaire Cambridge Analytica. Il lui est reproché notamment de n’avoir pas su empêcher la société anglaise spécialisée dans la communication politique d’exploiter abusivement les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs dans le cadre de la dernière campagne électorale de Donald Trump.

Lire aussi l’article : GAFA : le Sénégal face à l’équation de la taxation des géants du Net

Google Facebook et autres multinationales de la tech américaine s’acquitteront-t-ils sans coup férir de ces taxes et sanctions financières?
Ainsi, on le voit l’enjeu financier et économique est énorme. Tout comme l’enjeu diplomatique et politique.

Biarritz est loin d’être une partie de plaisir !

Le président américain Donald Trump a dénoncé la « stupidité » de son homologue Français avec la taxe sur le GAFA.
Pour laver l’affront, il avait même décidé à son tour de taxer le vin Français en représailles. Il a ainsi ordonné spontanément, le mercredi 10 juillet, à son administration d’ouvrir une enquête sur cette taxe.

Si l’Europe n’a pas réussi à avancer en bloc homogène pour une imposition minimale de ces acteurs majeurs du web, c’est parce que, en réalité, il y’a la volonté de protection d’intérêts industriels mais surtout la crainte avérée des représailles que pourrait exercer l’administration Trump. C’est ce qui freine l’envie et l’appétit de certaines nations.

Face à cette menace permanente et l’enjeu financier important, la stratégie de Macron n’est ni plus ni moins que de susciter l’union sacrée des Etats comme bouclier face à ces puissances.
En réalité, il faudrait forcément une synergie des Etats, ne serait-ce que par blocs économiques régionaux. Si un pays décide de faire cavalier seul, il n’y arrivera point. Ces entreprises sont des mastodontes. Il faut donc que les marchés concernés par ces nouvelles règles soient suffisamment grands pour instaurer éventuellement un rapport de force ou un partenariat gagnant gagnant.

Et l’Afrique devrait se positionner et faire entendre sa voix sur cette cyberguerre froide.

L’Afrique ne peut encore laisser passer par pertes et profits ces mannes financières des « barons voleurs » de l’eldorado capitaliste Américain.
Il se pose ainsi un vrai problème d’éthique et d’équité fiscale même.
Les opérateurs de télécoms qui assurent parfois des services similaires (pas de taxe sur les Over The Top) sur le continent s’acquittent pour l’essentiel de cette obligation fiscale. De manière générale ils participent considérablement à la collecte des recettes budgétaires des Etats.

A titre d’exemple, la Sonatel qui est acteur majeur de l’écosystème a ainsi contribué en 2017 pour plus de 502 milliards de FCFA aux recettes budgétaires de ses pays de présence. Au Sénégal, ce montant s’élève à près de 250 milliards FCFA.

L’Afrique va-t-elle entrer dans ce débat et soutenir une taxation mondiale. Où restera -t-elle encore dans l’inaction et pour combien de temps ? C’est la question centrale posée par les acteurs de l’écosystème depuis le début de cette révolution.
Membre du Cadre inclusif sur l’érosion de la Base d’imposition et le transfert de bénéfices (Beps) de l’OCDE et du G20, le Sénégal participe déjà activement au débat fiscal international.

La problématique de « l’impôt africain sur les GAFA » ou à une moindre échelle d’un « impôt communautaire numérique » doit être vite réglée, le cas échéant, et une législation claire et précise indiquer le cadre fiscal approprié.

Ousmane THIONGANE

Conseiller Spécial du Président de la République
Juriste et expert en humanités numériques